dimanche 23 septembre 2018


"J'étais là le jour où nous avions accueilli le président des Français. On nous avait interdit de l'appeler "le camarade Georges Pompidou" , la Révolution des Français était déjà périmée depuis longtemps, et de toute façon ce n'était pas ce président-là qui l'avait commencée. Nous devions l'appeler "Tonton Pompidou" parce que, d'après le maître et le directeur, il était un parent de notre propre famille grâce à la colonisation que son pays a amenée chez nous et de leur langue que nous parlons. Eh bien, nous ça nous arrangeait car Pompidou c'est un nom que nous aimions bien, c'était comme le surnom d'un bébé gentil qui boit son biberon le soir et qui s'endort sans embêter ses parents jusqu'à sept heures du matin. Ses cheveux étaient tirés en arrière, il souriait tout le temps comme s'il nous connaissait et que nous étions ses nièces et neveux. Nous aussi nous lui souriions tout le temps, comme si nous le connaissions et qu'il était notre oncle en vrai alors qu'il n'était même pas noir et congolais."

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Mbote (enfin je crois) les aminches.

A y est. Nous y sommes. La rentrée littéraire bat son plein. Les libraires se découvrent une âme de gamer nostalgique en jouant à un Tetris manuel, imbriquant les quelques 700 ouvrages qui se disputent les faveurs des lecteurs. Un subtil équilibre doit s'installer : les marronniers inévitables (et crispants ?) Nothomb, Angot et les coups de cœur se disputent l'espace. Arpentant les allées des librairies, les pushlines, les bandeaux promotionnels, les couvertures bariolées se fondent en un patchwork presque flou.

Je suis partagé quant à ce raout éditorial. Je n'ignore pas l'artificialité d'un tel rendez-vous. En outre, la compression temporelle de l'événement pousse au sacrifice un grand nombre d'ouvrage qui seront ignorés, n'ayant pas eu l'heur de plaire aux éditoriaux, aux émissions prescriptrices... 

Les libraires compensent heureusement en mettant en avant leur propre inclinaison. Les post-it, petits cartons trombonisés aux couvertures sont de réelles bouées de sauvetage. 

C'est ce genre d'incitation cartonnée qui m'a convaincu de me pencher sur le dernier bouquin d'une star des lettres : 

À Pointe-Noire, dans le quartier Voungou, la vie suit son cours. Autour de la parcelle familiale où il habite avec Maman Pauline et Papa Roger, le jeune collégien Michel a une réputation de rêveur. 

Mais les tracas du quotidien vont bientôt être emportés par le vent de l'Histoire. 

En ce mois de mars 1977 qui devrait marquer l'arrivée de la petite saison des pluies, le camarade président Marien Ngouabi est brutalement assassiné à Brazzaville. Et cela ne sera pas sans conséquences pour le jeune Michel, qui fera alors, entre autres, l'apprentissage du mensonge.

Alain Maubauckou, récompensé, enseignant aux Etats-Unis, qui a vendu des containers entier de son (très bon) MÉMOIRES DE PORC-ÉPIC , est un des écrivains francophones d'origine africaine les plus fêtés de sa génération. Créateur d'une oeuvre originale, tout à la fois empreinte de cette "mystique" (faute d'un autre mot) du continent noir tout en se préservant d'un folklore bringuebalant qu'il a en horreur, Mabanckou revient dans ce court récit, par la petite porte, en cette rentrée littéraire.

Par une porte dérobée car j'ai la sensation que son livre ne crée pas une sensation, un frémissement. Mais je me trompe peut-être et sans doute que son auteur s'en fout royalement. 

A vrai dire, la quatrième de couverture est un brin trompeuse. Elle nous promet une fresque de la décolonisation et l'on suit surtout les déambulations d'un enfant et jeune adolescent dans les ruelles de Pointe Noire, ville tentaculaire du Congo de son enfance. Et de son retour, une fois adulte, dans cette même ville.

Il est notifié Roman sur la couverture et j'ai un peu du mal à le croire. L'inspiration autobiographique en imprègne franchement les paragraphes, chaque page. 

Cette enfance africaine et le retour de l'écrivain reconnu, de l'homme qui a réussi, sont les médias de Alain Mabanckou pour partir de l'anecdotique familial, de la spiritualité locale pour nous parler du fracas de la décolonisation, des errements dictatoriaux des potentats qui ont suivi et de leur doxa marxiste catastrophique. J'ai lu que LE MANIFESTE des pères Engels et Marx fut même l'une des sources d'inspiration de ces CIGOGNES. Cela ne m'a pas sauté aux yeux.

Le pari n'est pas réussi pour parler franchement. Parfois trop allusif, rarement plus direct, LES CIGOGNES SONT IMMORTELLES ne dépassent pas du cadre stricto intime pour déboucher sur quelque chose d'universel. 

Néanmoins, ce livre n'est pas désagréable, loin de là. La plume précise, empathique de Mabanckou fait merveille et transpire par moments les regrets d'occasions manquées, toujours sans se départir de cette distance, cette nuance ironique, sans verser dans le panégyrique de "l'Afrique éternelle", sans en nier la beauté ni les travers ni les effets pervers d'une décolonisation qui perpétue une dépendance toujours présente. Et s'il se cantonne au petit bout de la lorgnette, la vue est belle.

Immortelles ces cigognes ? Non, peut-être pas. Mais elles volent droit et juste. C'est déjà ça.

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