samedi 11 avril 2020


"- Acceptez-vous de me voir ? J'aimerais inspecter la ferme.
- Je ne comprends rien à cette histoire de me voir. Si vous voulez visionner la ferme, je vous guiderai.
- Je ne veux pas visionner quoi quoi que ce soit. Je veux voir de mes yeux et en étant sur présent, en chair et en os.
- Vous êtes détraqué ou quoi ? Y a-t-il longtemps qu'on ne vous a fait d'analyse chromosomique ?
- Jehoshaphat ! gronda Baley. Écoutez donc. Je m'appelle Elijah Baley. Je viens de la Terre.
- De la Terre ! s'écria-telle avec véhémence. Cieux éternels !
- Ouais. De voir ! Quelle saleté. Enfin, qu'es-ce qu'un peu plus de saleté dans ce boulot répugnant. ? Mais écoutez-moi bien, vous : ne vous approchez pas trop de moi. Restez à bonne distance. Nous pourrons nous parler en criant, ou en nous adressant des messages par robot, si nécessaires. C'est bien compris ?"


Salutation les aminches,

Une amie m'a demandé récemment à quelle lecture me faisait songer ce confinement ? Pas quelle lecture je conseillerais, non, mais quel livre je pourrai rapprocher de la sensation que nous vivons, cette distanciation, ce manque de lien et de contacts.

Ce livre me vient immédiatement aux synapses :


Sur la lointaine planète Solaria les hommes n'acceptent plus de se rencontrer physiquement mais se " visionnent " par le truchement de projections télévisées. 
Or, un meurtre a été commis, un meurtre apparemment impossible puisque aucun Solarien n'aurait assez de courage pour s'approcher d'un de ses compatriotes. 
Qui plus est, tout semble indiquer qu'un robot est impliqué. Absurde! Les Lois de la robotique interdisent à ces êtres artificiels de causer le moindre tort aux hommes...

Elijah Bailey, inspecteur bougon et misanthrope et son partenaire synthétique, l'androïde Daneel Olivaw sont aux prises avec une enquête apparemment insoluble. Il est matériellement impossible à un Solarien de se déplacer pour en tuer un autre. Et le seul apte à commettre ce meurtre ne peut l'avoir commis du fait des lois de la Robotique, que je rappelle à toutes fins utiles :

1. Un robot ne peut porter atteinte à un être humain, ni, en restant passif, permettre qu'un être humain soit exposé au danger ;
2. Un robot doit obéir aux ordres qui lui sont donnés par un être humain, sauf si de tels ordres entrent en conflit avec la première loi ;
3. Un robot doit protéger son existence tant que cette protection n'entre pas en conflit avec la première ou la deuxième loi.

De ces trois préceptes, adoptés par tout programmateur en robotique (si cela existe), Asimov tire une myriade de paradoxes, une symphonie de fables absurdes, contradictoires...

Dans ce livre particulier, Asimov imagine une société de reclus volontaires, de confinés décidés. La confrontation entre le terrien, soumis à une promiscuité subie et radicale, et les Solariens, qui s'esquivent et vivent à des kilomètres les uns des autres, est délicate.

Bien sûr, rien de commun entre notre quarantaine sanitaire et cet anachorétisme exigé par une société phobique, où toutes les taches quotidiennes sont assurés par des robots dans des propriétés immenses. Néanmoins, la vision de cette société évitant, prohibant, tout rapprochement tactile renvoie nécessairement à notre disette forcée d'embrassades chaleureuses et aimantes.

Notre duo d'enquêteurs, cornaqué par l'écriture fluide de Asimov, explicitera ce paradoxe apparemment indécidable. Souvent minorée, la dimension policière d'Asimov (en témoigne sa fameuse série des Veufs Noirs) joue ici à plein et nous procure un petit frisson de contentement bienvenu : nous ne sommes pas des Solariens et ce confinement prendra fin.

Et vous, quelle serait votre lecture inspirée par notre confinement planétaire ?

0 commentaires :

Enregistrer un commentaire