lundi 1 juin 2020


" Considérez-vous comme moi que Trump est à la fois une menace et une idole pour tout le monde civilisé, en plus de présider à la nazification systématique et décomplexée des États-Unis ? "

Le 16 juillet 2018, Donald Trump rencontre Vladimir Poutine à Helsinki. Trump va y dédouaner totalement Poutine de la moindre ingérence dans la dernière élection présidentielle américaine. Trump ne veut pas apparaître comme l’homme de Moscou. Il dédit ainsi ses propres services de renseignements. Chose inouïe. Trump débraguette le nouveau Tsar de la Grande Russie et lui taille une pipe géopolitique mémorable. À la hauteur du service rendu ? Ah... Le visage de Poutine, ce faciès matois de batracien ravi...

On s’est accoutumé à ce sens de l’inédit grotesque du twitto-POTUS compulsif. Notre capacité d’hébétude a pris le pas sur notre indignation. On attendra sa non-réélection. Si ce malheur se renouvelle, on attendra qu’il meure.

Cet épisode est présent dans le dernier roman de John Le Carré...


À quarante-sept ans, Nat, vétéran des services de renseignement britanniques, est de retour à Londres auprès de Prue, son épouse et alliée inconditionnelle. Il pressent que ses jours comme agent de terrain sont comptés. Mais avec la menace grandissante venue de Moscou, le Service lui offre une dernière mission : diriger le Refuge, une sous-station du département Russie où végète une clique d’espions décatis. À l’exception de Florence, jeune et brillante recrue, qui surveille de près les agissements suspects d’un oligarque ukrainien.

Nat n’est pas seulement un agent secret. C'est aussi un joueur de badminton passionné. Tous les lundis soir dans son club il affronte un certain Ed, grand gaillard déconcertant et impétueux, qui a la moitié de son âge. Ed déteste le Brexit, déteste Trump et déteste son travail obscur. Et c’est Ed, le plus inattendu de tous, qui mû par la colère et l’urgence va déclencher un mécanisme irréversible et entraîner avec lui Prue, Florence et Nat dans un piège infernal.

Bientôt 90 ans et toujours vert. De rage. Le Carré est férocement anti-Trump et ne peut pas souffrir Boris Johnson. Sa colère se nourrit d’un Brexit crève-cœur pour cet europhile convaincu, de ce machiavélisme étriqué d’une élite friquée qui ne comprend pas la fureur des plus humbles mais l’utilise pour une conquête du pouvoir qui est une fin en soi. John ne s’est pas résigné, ne manifeste pas ce détachement las qui passe pour de la sagesse avisée.

La hargne de Le Carré s’articule dans ce roman d’espionnage labyrinthique, somptueux. John ne navigue jamais dans les eaux du cliché Bond-issant. Les espions sont ici des hommes en costume trois pièce, des haut fonctionnaires cendrés.

De la rencontre entre Nat, le narrateur de Retour de service, vétéran des Services Secrets britanniques et Ed, jeune impétueux, qui hait Trump, le compare à Hitler dans une distribution spasmodique de Point Godwin, va naître un chaos imprévisible...

Comment Le Carré va organiser le maelstrom, juguler l’entropie et harmoniser la fanfare est un régal de lecture. Il parvient à réveiller notre goût pour les manipulations littéraires et notre dégoût de la Trumposhère agissante. Toujours avec classe, ce style précis et travaillé.

Remarquablement traduit par la traductrice attitrée de John, Isabelle Perrin.

Magistral...

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