dimanche 6 novembre 2022

« Le caryotype du chimpanzé comporte deux paires de chromosomes de plus que le nôtre. Le globicéphale commun a plus de neurones que nous. Nous avons dominé le monde sans partage, et regardez où nous en sommes aujourd'hui ! »

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Tout commence par un naufrage, aussi figuré que littéral. Ismaël, naturaliste de Rome, agonise sur un radeau de fortune au beau milieu de la mer chimique quand il est repêché par le Player Killer, un sous-marin capable de naviguer dans les courants acides, machine-témoin d’une technologie à laquelle plus personne ne comprend rien. A la tête de l’engin : Jonathan, flibustier et excentrique despote. Ce capitaine hésite ; doit-il livrer Ismaël aux ennemis de Rome ou le garder pour lui ? Le savant a-t-il une quelconque valeur ?

Sur la terre ferme, la solitude n’a pas réussi à Alba. Graffeuse omnisciente, elle a peut-être tendance à confondre les dates et les noms. Elle est pourtant choisie pour incarner la mémoire des survivants. Dans une Rome assiégée par la Méditerranée, elle apprend que le futur n’est pas tendre avec ceux qui ont la langue trop bien pendue et que certains secrets peuvent s’avérer mortels.

Et si, séparés par des milliers de kilomètres, ignorant tout l’un de l’autre, Ismaël et Alba cherchaient à percer la même énigme ?

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En ces temps de congratulations et entre-soi bien compris :

« - Tient mon pote voilà La Renaudot.
- Merci Fredo, fallait pas mais ça va se voir non ?
- On s’en fout poto c’est pour la télévision française. »

Parlons d’un livre qui a dû échapper à la sagacité des chenu.e.s qui cachetonnent sur les banquettes en moleskine, le fabuleux Les flibustiers de la mer chimique.

Marguerite Imbert invente un nouveau sous-genre d’une littérature de l’imaginaire qui n’en manque pourtant pas : le postapocalyptique sémillant, réjouissant. Marguerite a saisi, en effet, un truc fondamental qui est si rarement souligné dans la production littéraire eschatologique ; ce que la fin, quand elle advient, a de jubilatoire, de libératoire. Sans nier les effets pervers de s’affranchir de toute morale quand le monde part en coude dans des proportions cosmiques.

Les flibustiers de la mer chimique c’est du Stevenson croisé à du M Night Shyamalan boosté au rhum de contrebande. Un mélange explosif. Marguerite Imbert c’est la frénésie sous contrôle car elle ne perd jamais de vue la cohérence de son monde, de son récit, d’où il vient et où il va.

Ainsi les pages du prologue, obscures et apparemment sans rapport avec ce qui va suivre, trouveront toute leur pertinence dans les ultimes chapitres de cette épopée grinçante, malaisante parfois, drôle et tumultueuse. Le tout soutenu par une science des personnages quelque peu inouïe, je défie d’oublier l’extravagance de Jonathan capitaine de submersible, l’arrogance touchante de Alba la graffeuse, la narration tragique et vive de Ismaël la naturaliste désœuvré (c’est que... Quand la Terre n’est plus que cimetière...)

Marguerite Imbert nous prévient, on ne coupera pas à l’inversion des choses : quand l’Océan, perdra son essence d’infinitude virginale pour n’être qu’un immense baquet de fond de chiotte, on ne sera tous bons qu’à crever. Marguerite Imbert nous le cingle avec un panache bondissant qui force le respect.

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