lundi 24 octobre 2022


J’aime déboiter la Rentrée Littéraire. C’est le jeu convenu et libérateur des libraires. Mais j’ai lu de belles choses quand même...

Si on avait su qu’un boche c’est rien d’autre qu’un français qui parle allemand on aurait hésité à leur tirer dessus

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Paris, années 20, un ancien combattant est chargé de retrouver un soldat disparu en 1917. 

Arpentant les champs de bataille, interrogeant témoins et soldats, il va découvrir, au milieu de mille histoires plus incroyables les unes que les autres, la folle histoire d'amour que le jeune homme a vécue au milieu de l'Enfer. 

Alors que l'enquête progresse, la France se rapproche d'une nouvelle guerre et notre héros se jette à corps perdu dans cette mission désespérée, devenue sa seule source d'espoir dans un monde qui s'effondre.

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D’abord encombré de ses références trop évidentes, Le soldat désaccordé trouve vite sa voix(e). Cette quête juste après la si mal nommée Der des Der, dans des tranchées tout juste évacuées, charrie son lot d’images frappées et une musicalité qui nous saisit au détour d’une page. Porté par une plume directe, familière et poétique, ce livre et n’a de dissonant que son titre.


Sans doute faut-il choisir entre aimer les hommes ou les connaître.

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Farah, adolescente, a toujours connu L’Église de la Treizième Heure pour la bonne raison que Lenny, son père, en est le fondateur. Elle vit en communauté dans cette Église millénariste un peu spéciale : féministe, queer, animaliste. 

On y récite Nerval ou Rimbaud. Lenny rassemble ses ouailles autour de messes poétiques et d’ateliers de déparasitage psychique. La Treizième Heure, c’est aussi l’heure de la révélation, du triomphe des pauvres, des dominés, des humiliés. Les membres de la communauté l’espèrent, angoissés devant les menaces qui pèsent sur la planète : épidémies, guerres, réchauffement climatique… 

Lenny élève seul sa fille Farah. Hind, son grand amour, l’ayant abandonné à la naissance du bébé.

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Emmanuelle Bayamack-Tam évite soigneusement le piège du plaidoyer. Des personnages attachants qu’on a envie d’inviter peuplent ce roman drôle et touchant. Ni ode à la différence ni charge frontale, La treizième heure donnera certainement de l’urticaire aux obsédés du pseudo-woke, on les emmerde, on l’aura déjà dévoré avant que la treizième heure ne sonne.


Il ne m’avait pas légué la douceur, la confiance ni la foi. Pourtant  j’héritais de lui les trois choses auxquelles je tenais le plus au monde. J’héritais de lui l’absence, la joie et la violence.

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Plus grand que la vie, Gérard illumine les jours de sa fille, Lou. Fort et fantaisiste, ce baby-boomer aux allures d’ogre ensorcèle tout : les algues deviennent des messages venus des dieux, les tempêtes des épreuves militaires, ses absences des missions pour les Services Secrets. 

Mais que fait cette arme dans la table de nuit  ? Qui sont ces fantômes d’une famille disparue, surgissant parfois au détour d'une  conversation, dans un silence suspendu  ? D’où viennent, surtout, ces accès de cruauté — ceux-là même qui exercent sur sa fille fascination et terreur  ?

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Blandine Rinkel prend son élan et balance son encre amalgamée en un poing fermé. La violence n’est pas un domaine réservé aux mâles burnés. Un roman captivant et tendu sur un père en marge et malsain. Un dénouement qui prend aux tripes, les malaxe et les remet dans un état différent dans lequel il les a trouvées. Une claque.

J’écris à l’encre rouge avec le stylo noir du père. J’écris sur ses propres écrits. Je les recouvre de mes mots à moi.

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Troll au service d’un gouvernement populiste, Simon Kaas et issu d’une génération qui a grandi dans la doctrine du national-consumérisme et la réécriture du roman national. 

Il assiste à là mise au ban d’historiens comme son père, et à l’ascension fulgurante de sa mère, célèbre actrice d’une série policière ultraviolente. 

D’où vient cette colère qui gronde en lui ? En déroulant le fil intime de sa mémoire, Simon va tenter de comprendre comment tout a basculé.

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Un roman foutrement contemporain. La chute en forme de rédemption d’un troll sévissant sur les Rézosociaux au bénéfice d’un pouvoir extrême. Remarquable récit sur le pouvoir des mots, le langage est une arme politique phénoménale. Les effluves de 1984 flottent évidemment mais Ragougneau s’en débarrasse prestement dans ce livre vif et précis.


Gus se demandait qui de lui ou de Prosp voyait le monde tel qu'il était.

En vérité, chacun le voyait à sa manière tel qu'il était ...

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1835. Gus, un jeune zoologiste, est envoyé par le musée d’histoire naturelle de Lille pour étudier la faune du nord de l’Europe. Lors d’une traversée, il assiste au massacre d’une colonie de grands pingouins et sauve l’un d’eux. Il le ramène chez lui aux Orcades et le nomme Prosp. 

Sans le savoir, Gus vient de récupérer le dernier spécimen sur terre de l’oiseau. Une relation bouleversante s’instaure entre l’homme et l’animal. La curiosité du chercheur et la méfiance du pingouin vont bientôt se muer en un attachement profond et réciproque.

Au cours des quinze années suivantes, Gus et Prosp vont voyager des îles Féroé vers le Danemark. Gus prend progressivement conscience qu’il est peut-être le témoin d’une chose inconcevable à l’époque : l’extinction d’une espèce. 

Alors qu’il a fondé une famille, il devient obsédé par le destin de son ami à plumes, au détriment de tout le reste. Mais il vit une expérience unique, à la portée métaphysique troublante : qu’est-ce que veut dire aimer ce qui ne sera plus jamais ?

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Encore un piège évité, celui de la fable et de l’anthropomorphisme. Pop le dernier grand pingouin n’a rien de mignon. Il reste sauvage et inaccessible. Il n’en est pas moins touchant et la relation qui l’unit à Gus son sauveur est incroyable. Que faire face au dernier représentant d’une espèce quand c’est la notre qui provoque son extinction ? Un livre vertigineux et intime.

Voilà. Je peux retourner à mes railleries : la RL, cette purge...

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