Gilrein, ex-flic à Quinsigamond, est aujourd’hui chauffeur de taxi. Un jour, on retrouve l’un de ses clients écorché vif. C’est l’œuvre des hommes de main d’August Kroger, qui pensent que leur victime a pu laisser dans le taxi l’objet convoité par leur patron. Apparemment il s’agirait d’un livre.
Mais que peut donc contenir un tel livre pour que le puissant Kroger, les flics justiciers connus sous le nom de « magiciens », un jésuite inspecteur de police et tous les gangs rivaux de la ville se le disputent?
Gilrein qui n’a pas perdu son instinct d’enquêteur va, lui aussi, se mettre en quête de ce mystérieux graal.
***
Je voulais initialement caser ce titre de Jack O’Connell
dans Relire nos classiques. J’ai renoncé. Et le verbe s’est fait chair défie la
notion même de case. Les étiquettes, les définitions sont comme happées dans un
trou noir pour s’annihiler totalement.
Jack O’Connell a créé la ville de Quinsigamond rejeton monstrueux
de Gotham sans Batman et d’une Providence augmentée. Il en résulte une
distorsion de lecture, un malaise presque. Une ville à la géographie sordide où
le Cabinet Vermine côtoie Ribbentrop Square.
Tout est décalé dans ce livre. Un exemple ? L’un des
mafieux de Quinsigamond possède un atelier clandestin où des enfants suent sang
et eau pour... Produire des BD de contrebande. Le reste est à l’aune de cet
exemple. Et le verbe s’est fait chair bouscule nos codes du roman noir. Car
noir, il l’est, incontestablement. Un polar gothique, Lovecrafto-compatible.
Mais ce roman de Jack O’Connell surpasse aisément Lovecraft
(dont je ne suis guère fan) : une plume dense sans l’amphigourisme de
Lovecraft et son avalanche orgasmique d’épithètes en files comme autant de
communiants lobotomisés ; des personnages attachants, loin des silhouettes
fantomatiques des livres de Lovecraft, juste là pour sombrer dans la folie
devant l’avènement toujours reporté de Dieux plus anciens que la bêtise
humaine.
Et le verbe s’est fait chair est certes une enquête, une
investigation mais surtout une réflexion quasi métaphysique sur le langage et
le biais qu’il est pour assoir notre vision du monde. À la poursuite d’un livre
sans nom, réceptacle de l’horreur la plus crue (voilà un livre qui ne tient pas
à distance l’effroi et la terreur), les antagonistes de Et le verbe s’est fait
chair se heurtent sans cesse à ces impasses : comment décrire un cosmos
qui dépasse le vocabulaire à notre disposition.
Prodigieux.
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