mardi 11 janvier 2022


Traduction : Pierre Demarty

[...] ce n’est pas simplement de l’esclavage que vous êtes le captif, mais d’une sorte de supercherie, qui donne aux bourreaux le visage de gardiens bienveillants, repoussant les assauts de la sauvagerie africaine, alors que ce que sont eux les sauvages, eux le maléfique Mordred, eux le dragon camouflé sous les oripeaux de Camelot. Et lorsque vient le moment de cette révélation, cette prise de conscience, la fuite n’est pas une idée, pas même un songe mais une nécessité absolue, aussi impérieuse que la nécessité de fuir une maison en proie aux flammes. 

Le jeune Hiram Walker est né dans les fers. Le jour où sa mère a été vendue, Hiram s’est vu voler les souvenirs qu’il avait d’elle. Tout ce qui lui est resté, c’est un pouvoir mystérieux que sa mère lui a laissé en héritage.

Des années plus tard, quand Hiram manque se noyer dans une rivière, c’est ce même pouvoir qui lui sauve la vie. Après avoir frôlé la mort, il décide de s’enfuir de chez lui, loin du seul monde qu’il ait jamais connu.

Ainsi débute un périple plein de surprises, qui va entraîner Hiram depuis la splendeur décadente des fières plantations de Virginie jusqu’aux bastions d’une guérilla acharnée au cœur des grands espaces américains, du cercueil esclavagiste du Sud profond aux mouvements dangereusement idéalistes du Nord. 

Alors même qu’il s’enrôle dans la guerre clandestine qui oppose les maîtres aux esclaves, Hiram demeure plus que jamais déterminé à sauver la famille qu’il a laissée derrière lui.

***

Un reproche qu’on ne peut adresser aux USA serait une frilosité culturelle face aux heures sombres. Les artistes étasuniens se confrontent souvent aux trahisons des valeurs. Les œuvres commençaient à fleurir dès le Vietnam évacué. Plus proche de nous la guerre en Irak a fourni nombres de dénonciations caustiques pendant même le conflit.

La question raciale est une des planches moisies dégradant le plancher ciré de l’Histoire américaine, voire LA termitière qui pourrit inlassablement les fondations du songe américain. Ta-Nehisi Coates s’en empare, nous narre le temps des plantations, si joliment décrit dans Autant en emporte le vent, et le ramène à ce qu’il est. Une emprise économique, une soumission du fait d’une pigmentation, une main d’œuvre gratuite, corvéable à merci, qui permet de laisser libre cours à une soif de domination. L’esclavage américain n’est pas des Miss Scarlett débonnaires et crinoline tombant sur de fines chevilles, l’esclavage c’est le viol et l’humiliation

Une fois ce rappel effectué, Coates déroule un récit haletant, un roman d’aventures et d’espionnage, presque bondissant. Il s’éloigne ici des livres plus âpres de Whitehead ou Jesmyn Ward. Son opus est ensorcelant, mâtiné de mysticisme vaudou, de magie ! Traversé de fulgurances douloureuses, de drames inconcevables, en une plume empathique, poétique et acérée.

J’avoue que je préfère ses essais mais Coates prouve cette fois encore qu’il est une voix qui compte et que son chant, mêlé à d’autres, n’est pas près de s’éteindre, qu’il est (malheureusement) toujours nécessaire.

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