Voilà un livre dont on a peu parlé. Pas assez à mon goût. Est-ce cette prévention envers la littérature horrifique ? Je ne crois pas vu qu’il avance sous la couverture des Éditions Rivages. Alors ? Emporté par la déferlante de la Rentrée Littéraire, cet opus brulant ou glacé, c’est selon, s’est retrouvé noyé par la tempérance des ouvrages sages et voués aux prix. L’eau bouillante ou gelée, mélangeons-la suffisamment à de l’eau tiède...
Pourtant, le troisième roman de Jeremy Fel a de quoi provoquer des hauts de cœur. Une scène frontale, cruelle, clinique, au premier tiers du livre possède le potentiel d’un scandale. Ces lignes s’emparent d’un tabou, ébranlent. Fel trouve la juste distance entre l’atroce justifié et le voyeurisme. Quand même, on ne lit pas ça tous les jours. Y compris chez Sa Majesté, Stephen King à ma connaissance n’est jamais aussi loin.
Jeremy Fel dépasse rapidement cette référence obligée dans ce livre littéraire, expérimental, horrifiant et addictif. De ceux qui se jouent du narratif linéaire, de la saine distance entre réel et fiction. Nous sommes des chasseurs est une œuvre sur le mal, le Mal, contaminant, héréditaire. Nous sommes ici autant éloignés du feel-good que peut l’être un réchaud à gaz d’une supernova.
Nous sommes les chasseurs m’a fait songer au Cloud Atlas de David Mitchell avec cette construction kaléidoscopique où des détails rattachent les époques et les lieux. Fel tisse une trame serrée, les histoires semblant indépendantes les unes des autres se répondent en une mosaïque sombre et désespérée. Il convient d’avoir le cœur bien implanté dans la cage pour cette lecture qui se déroule parfois en apnée mais j’en salue ici la maestria et la dimension tragique. Car l’horreur ne fonctionne réellement que si l’on s’attache, s’identifie. Fel conserve une bienveillance envers certains de ses personnages (pas tous !) et il a la belle idée de finir sur une vie rêvée, arrachée aux griffes de la mort par la puissance de la littérature.
Nous sommes les chasseurs et moi la proie.
Magistral.
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