"Non Ali ne comprend rien : ni pourquoi on lui a demandé dans un premier temps les marques de son amour sans faille pour la France, faisant de son parcours une ligne idéologique claire, ni pourquoi son fils lui demande à présent de prouver qu'au contraire il n'a fait que se soumettre à une violence omniprésente et polymorphe. Pourquoi personne ne veut lui laisser le droit d'avoir hésité ? D'avoir changé d'avis ? D'avoir pesé le pour et le contre ? Est ce que pour les autres tout est si simple ?"
***
صباح الخير (enfin je crois) les aminches.
Si nous revenions un poil sur ces histoires de prix littéraires.
J'ai mentionné, il y a peu, mon manque d'appétence pour ce genre de distinctions. Renvois d'ascenseurs, équilibres subtils entre grandes maisons à respecter, sans parler que les membres du jury sont pour la plupart de vieux cacochymes, mâles vieillissants, peu ouverts à la diversité, l'audace ?
Ainsi Bernard Pivot excluant LE ROYAUME de Emmanuel Carrère car des scènes de branlette dans le livre avait heurté sa sensibilité de fin de vie bien ordonnée...
Bref...
Encenser un livre parce qu'il est primé est un brin concon mais le condamner à priori parce qu'il est singularisé par cette palme académique est tout aussi neuronophobe.
Surtout quand ce sont des lycéens, se contrefoutant de préserver une quelconque balance éditoriale, qui le distinguent.
L'Algérie dont est originaire sa famille n'a longtemps été pour Naïma qu'une toile de fond sans grand intérêt. Pourtant, dans une société française traversée par les questions identitaires, tout semble vouloir la renvoyer à ses origines. Mais quel lien pourrait-elle avoir avec une histoire familiale qui jamais ne lui a été racontée ?
Son grand-père Ali, un montagnard kabyle, est mort avant qu'elle ait pu lui demander pourquoi l'Histoire avait fait de lui un « harki ». Yema, sa grand-mère, pourrait peut-être répondre mais pas dans une langue que Naïma comprenne. Quant à Hamid, son père, arrivé en France à l'été 1962 dans les camps de transit hâtivement mis en place, il ne parle plus de l'Algérie de son enfance.
Comment faire resurgir un pays du silence ?
Vaste question à laquelle Alice Zeniter, dans ce beau roman douloureux, tente de répondre.
C'est à une odyssée que nous convie Alice Zeniter, une fiction autobiographique, férocement romanesque, c'est le souffle de l'histoire qui traverse les pages de ce prix Goncourt des lycéens.
Ah, si Alice Zeniter avait allégé son opus, s'était penché sur la seconde guerre mondiale et appelé Alain, peut-être que le Goncourt des Grands, çui des cheveux blancs, lui aurait été promis.
Qu'elle se rassure cependant, son livre est magistral, de maîtrise et d'empathie. Alice Zeniter mise en effet sur l'humain, ses failles, le poids de son environnement, ce que l'on attend de lui ; plus que sur un style ampoulé, sûr de ses effets.
Pourtant quelle plume ! Vivace, immédiatement accessible sans tomber dans le vulgus simpliste.
Une plume qui plonge dans les corps et les âmes de trois générations de Harkis, ceux qui ont choisis le mauvais camp, ceux que l'on exilent et que l'on parque à défaut de les accueillir. En outre, cela permet de rentabiliser des sites qui ont déjà servi.
"Le camp Joffre – appelé aussi camp de Rivesaltes – où, après les longs jours d'un voyage sans sommeil, arrivent Ali, Yema et leurs trois enfants est un enclos plein de fantômes : ceux des républicains espagnols qui ont fui Franco pour se retrouver parqués ici, ceux des Juifs et des Tziganes que Vichy a raflés dans la zone libre, ceux de quelques prisonniers de guerre d'origine diverse que la dysenterie ou le typhus ont fauchés loin de la ligne de front. C'est, depuis sa création trente ans plus tôt, un lieu où l'on enferme ceux dont on ne sait que faire en attendant, officiellement, de trouver une solution, en espérant, officieusement, pouvoir les oublier jusqu'à ce qu'ils disparaissent d'eux-mêmes. C'est un lieu pour les hommes qui n'ont pas d'Histoire car aucune des nations qui pourraient leur en offrir une ne veut les y intégrer. "
Alice Zeniter n'occulte rien. Ni le malaise d'avoir choisi le colon contre son voisin, son frère, ni la honte, l'amère douleur de l'émigré qui a tout perdu, son égarement face à la bureaucratie endémique :
"Ils ont tellement de papiers, tous ces Français, commente Yema dans la cuisine en secouant la tête. On se demande bien ce qu'on peut faire ici sans les papiers. Mourir ? Moi je suis sûre que même pour ça, ils te demandent les documents et que si tu les as pas, ils te maintiennent vivant jusqu'à ce que tu les trouves..."
Le racisme constant, omniprésent :
" L'une des explications étymologiques du mot « Bougnoule » le fait remonter à l'expression : Bou gnôle, le Père la Gnôle, le Père Bouteille, un terme méprisant employé à l'égard des alcooliques. Une autre la lie à l'injonction Abou gnôle (Apporte la gnôle) utilisée par les soldats maghrébins lors de la Première Guerre mondiale et reprise comme sobriquet par les Français."
Qui n'épargne personne.
"— Parfois tu es aussi con que mes élèves, lui dit Romain. J'entends ça toute la journée : « M'sieur, je peux pas être raciste, je suis noire ! », « Je peux pas être raciste, je suis arabe ! ». À part ça, ils se foutent tous de la gueule des Asiatiques, des Chrétiens, des Roms… Mais ils sont persuadés qu'ils sont vaccinés contre le racisme par leur couleur de peau et que c'est un mal qui n'arrive qu'aux autres."
C'est aussi un mal qui tombent souvent aux mêmes endroits.
L'islamisme rampant :
"- Tu as remarqué le nombre de paraboles dans ce quartier ? demande Lalla. Avant il n’y en avait pas. Elles sont toutes arrivées d’un coup. Et avec elles, les chaînes religieuses de l’Arabie saoudite, du Qatar, de je ne sais où. L’islam est entré dans les maisons par les paraboles… Même mon fils, le plus jeune, tout à coup, il s’est mis à aller à la mosquée. Il s’est laissé pousser la barbe."
La place de la femme, la troisième génération etc.
Alice Zeniter n'a pas vocation à bousculer nos certitudes, ni les conforter.
Elle nous conte juste une terre où nous faisons ce que nous pouvons avec ce que nous avons, ce que nous sommes, ce qui nous définit et qu'il n'est pas donné à tout le monde de faire le bon choix et d'en être certain(e).
Et que nous pouvons aussi, parfois, tenter de dépasser nos préjugés, d'aller au delà, vers l'autre.
Si nous revenions un poil sur ces histoires de prix littéraires.
J'ai mentionné, il y a peu, mon manque d'appétence pour ce genre de distinctions. Renvois d'ascenseurs, équilibres subtils entre grandes maisons à respecter, sans parler que les membres du jury sont pour la plupart de vieux cacochymes, mâles vieillissants, peu ouverts à la diversité, l'audace ?
Ainsi Bernard Pivot excluant LE ROYAUME de Emmanuel Carrère car des scènes de branlette dans le livre avait heurté sa sensibilité de fin de vie bien ordonnée...
Bref...
Encenser un livre parce qu'il est primé est un brin concon mais le condamner à priori parce qu'il est singularisé par cette palme académique est tout aussi neuronophobe.
Surtout quand ce sont des lycéens, se contrefoutant de préserver une quelconque balance éditoriale, qui le distinguent.
L'Algérie dont est originaire sa famille n'a longtemps été pour Naïma qu'une toile de fond sans grand intérêt. Pourtant, dans une société française traversée par les questions identitaires, tout semble vouloir la renvoyer à ses origines. Mais quel lien pourrait-elle avoir avec une histoire familiale qui jamais ne lui a été racontée ?
Son grand-père Ali, un montagnard kabyle, est mort avant qu'elle ait pu lui demander pourquoi l'Histoire avait fait de lui un « harki ». Yema, sa grand-mère, pourrait peut-être répondre mais pas dans une langue que Naïma comprenne. Quant à Hamid, son père, arrivé en France à l'été 1962 dans les camps de transit hâtivement mis en place, il ne parle plus de l'Algérie de son enfance.
Comment faire resurgir un pays du silence ?
Vaste question à laquelle Alice Zeniter, dans ce beau roman douloureux, tente de répondre.
C'est à une odyssée que nous convie Alice Zeniter, une fiction autobiographique, férocement romanesque, c'est le souffle de l'histoire qui traverse les pages de ce prix Goncourt des lycéens.
Ah, si Alice Zeniter avait allégé son opus, s'était penché sur la seconde guerre mondiale et appelé Alain, peut-être que le Goncourt des Grands, çui des cheveux blancs, lui aurait été promis.
Qu'elle se rassure cependant, son livre est magistral, de maîtrise et d'empathie. Alice Zeniter mise en effet sur l'humain, ses failles, le poids de son environnement, ce que l'on attend de lui ; plus que sur un style ampoulé, sûr de ses effets.
Pourtant quelle plume ! Vivace, immédiatement accessible sans tomber dans le vulgus simpliste.
Une plume qui plonge dans les corps et les âmes de trois générations de Harkis, ceux qui ont choisis le mauvais camp, ceux que l'on exilent et que l'on parque à défaut de les accueillir. En outre, cela permet de rentabiliser des sites qui ont déjà servi.
"Le camp Joffre – appelé aussi camp de Rivesaltes – où, après les longs jours d'un voyage sans sommeil, arrivent Ali, Yema et leurs trois enfants est un enclos plein de fantômes : ceux des républicains espagnols qui ont fui Franco pour se retrouver parqués ici, ceux des Juifs et des Tziganes que Vichy a raflés dans la zone libre, ceux de quelques prisonniers de guerre d'origine diverse que la dysenterie ou le typhus ont fauchés loin de la ligne de front. C'est, depuis sa création trente ans plus tôt, un lieu où l'on enferme ceux dont on ne sait que faire en attendant, officiellement, de trouver une solution, en espérant, officieusement, pouvoir les oublier jusqu'à ce qu'ils disparaissent d'eux-mêmes. C'est un lieu pour les hommes qui n'ont pas d'Histoire car aucune des nations qui pourraient leur en offrir une ne veut les y intégrer. "
Alice Zeniter n'occulte rien. Ni le malaise d'avoir choisi le colon contre son voisin, son frère, ni la honte, l'amère douleur de l'émigré qui a tout perdu, son égarement face à la bureaucratie endémique :
"Ils ont tellement de papiers, tous ces Français, commente Yema dans la cuisine en secouant la tête. On se demande bien ce qu'on peut faire ici sans les papiers. Mourir ? Moi je suis sûre que même pour ça, ils te demandent les documents et que si tu les as pas, ils te maintiennent vivant jusqu'à ce que tu les trouves..."
Le racisme constant, omniprésent :
" L'une des explications étymologiques du mot « Bougnoule » le fait remonter à l'expression : Bou gnôle, le Père la Gnôle, le Père Bouteille, un terme méprisant employé à l'égard des alcooliques. Une autre la lie à l'injonction Abou gnôle (Apporte la gnôle) utilisée par les soldats maghrébins lors de la Première Guerre mondiale et reprise comme sobriquet par les Français."
Qui n'épargne personne.
"— Parfois tu es aussi con que mes élèves, lui dit Romain. J'entends ça toute la journée : « M'sieur, je peux pas être raciste, je suis noire ! », « Je peux pas être raciste, je suis arabe ! ». À part ça, ils se foutent tous de la gueule des Asiatiques, des Chrétiens, des Roms… Mais ils sont persuadés qu'ils sont vaccinés contre le racisme par leur couleur de peau et que c'est un mal qui n'arrive qu'aux autres."
C'est aussi un mal qui tombent souvent aux mêmes endroits.
L'islamisme rampant :
"- Tu as remarqué le nombre de paraboles dans ce quartier ? demande Lalla. Avant il n’y en avait pas. Elles sont toutes arrivées d’un coup. Et avec elles, les chaînes religieuses de l’Arabie saoudite, du Qatar, de je ne sais où. L’islam est entré dans les maisons par les paraboles… Même mon fils, le plus jeune, tout à coup, il s’est mis à aller à la mosquée. Il s’est laissé pousser la barbe."
La place de la femme, la troisième génération etc.
Alice Zeniter n'a pas vocation à bousculer nos certitudes, ni les conforter.
Elle nous conte juste une terre où nous faisons ce que nous pouvons avec ce que nous avons, ce que nous sommes, ce qui nous définit et qu'il n'est pas donné à tout le monde de faire le bon choix et d'en être certain(e).
Et que nous pouvons aussi, parfois, tenter de dépasser nos préjugés, d'aller au delà, vers l'autre.
Un magnifique poème, de la poétesse Elizabeth Bishop inspire le titre du livre de Alice Zeniter :
Dans l'art de perdre il n'est pas dur de passer maître,
tant de choses semblent si pleines d'envie
d'être perdues que leur perte n'est pas un désastre.
Perds chaque jour quelque chose. L'affolement de perdre
tes clés, accepte-le, et l'heure gâchée qui suit.
Dans l'art de perdre il n'est pas dur de passer maître.
Puis entraîne-toi, va plus vite, il faut étendre
tes pertes : aux endroits, aux noms, au lieu où tu fis
le projet d'aller. Rien là qui soit un désastre.
J'ai perdu la montre de ma mère. La dernière
ou l'avant-dernière de trois maisons aimées : partie !
Dans l'art de perdre il n'est pas dur de passer maître.
J'ai perdu deux villes, de jolies villes. Et, plus vastes,
des royaumes que j'avais, deux rivières, tout un pays.
Ils me manquent, mais il n'y eut pas là de désastre.
Certain(e)s y sont plus maîtres que d'autres.
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