mercredi 19 décembre 2018


"Il cueillit une dent de lion cachée derrière son oreille et la montra à tout le monde. 
- Seigneur Garu, tu n'oserais pas te comparer à une mauvaise herbe ! gronda Cogo Yelu. 
- Ce n'est pas une herbe comme les autres, Cogzy. La dent de lion est une fleur solide mais malheureusement incomprise.
Au souvenir du jour où il courtisait Jia, Kuni sentit un voile de chaleur dans ses yeux.

- Elle est invincible. Le jardinier croit s'en débarrasser en l'éradiquant de sa pelouse, et à la première rosée, voilà le grand retour de ses fleurons jaunes ! Pourtant, elle n'a rien d'arrogant : sa couleur et son parfum n'iront jamais faire pâlir ceux d'une autre. Ses vertus ne sont plus à prouver : des feuilles exquises et médicinales, une racine capable de détendre une terre trop dense et de la préparer à d'autres fleurs plus délicates. Mais par-dessus tout, malgré son pied bien ancré dans le sol, elle rêve d'évasion. Lorsque le vent emporte ses akènes gris dans le ciel, ceux-ci voyagent loin et voient bien plus de paysages que toutes les tulipes, toutes les roses et tous les soucis bichonnés dans leur carré d'herbes réunis."


***

Bien le bonjour les aminches.

Connaissez-vous le silkpunk ? Le silkpunk est une catégorie du steampunk, steampunk qui se situe pendant le XIXème siècle où la vapeur est reine, le charbon tsar, et les automates se déplacent chaotiquement dans un panache de vapeur. Du steampunk est né la gaslamp fantasy qui recule la temporalité jusqu'à l'Angleterre victorienne, DRACULA de Bram Stocker est une exemple de gaslamp fantasy. Et bien, pour celles et ceux qui suivent encore, le silkpunk c'est de la gaslamp fantasy dans un cadre sinisant. 

Le charbon et le métal sont remplacés par de la soie et du bambou, matières nobles s'il en est. La science et les divinités se mêlent. Et la Chine impériale fait figure de toile de fond. 

Le silkpunk est pratiquement né dans ce livre : 



Le Royaume de Dara est divisé en sept États, mais l’un d’entre eux, Xana, a pris l’ascendant sur les autres par la force et le jeu des alliances politiques. Son roi est devenu l’Empereur et a établi le règne du Céleste Diaphane. Tous désormais doivent chanter ses louanges et œuvrer à sa gloire. 

Cependant, chez les nobles déchus comme chez le peuple corvéable, épuisé et écrasé d’impôts, la révolte gronde. Mais comment renverser cet empire dont les forces armées s’appuient sur une technologie élaborée et quasi magique ? 

C’est le défi que tenteront de relever Mata Zyndu, le dernier héritier de son clan, déchu pour avoir osé s’opposer à la Conquête et qui a juré de rétablir l’honneur de son nom, et Kuni Garu, un voyou charmeur et beau parleur qui s’apprête à embrasser un destin bien supérieur à ses ambitions les plus secrètes. Sauront-ils surmonter les défis qui les attendent pour accomplir leur destin sous la férule des dieux ?

Fantasy Silkpunk devrais-je préciser. Car Ken Liu remplit ras la timbale son shaker. La délicatesse de la civilisation chinoise, des aérostats de combat, des guerriers poisseux de sang (2 m 30 au garrot pour le plus fameux d'entre eux !), un ancien escroc bedonnant à l'intelligence vive alliée à une conscience sourcilleuse, peu de magie mais des dieux joueurs et querelleurs puissants, loin d'être omnipotents, etc.

Et le miracle s'accomplit sous nous paupières ravies. Le kouglof indigeste, le tofu, en calzone, fourré à la frangipane qui nous semblaient promis, se révèlent un récit endiablé. La sauce a pris.

Ce premier tome d'une trilogie coche les cases de l'aventure épique, ne monnayant pas ses scènes de combats, ses traîtrises et ses retournements de cote de maille. Mais il est plus que cela. Il est surtout une réflexion surprenante sur le pouvoir absolu, qui corrompt inéluctablement, y compris les plus dévoués, ceux qui ont les bonnes intentions, qui se diluent immanquablement dans les contingences de la victoire finale et de l'avidité humaine. 

C'est ici que LA GRACE DES ROIS convainc absolument. Dans cette lente "déperdition" des protagonistes de cette geste de conquête et de fureur, traversée de machiavélisme politique, de paroles reprise sitôt donnée. 

Ken Liu (décidément un cador !) donne une réelle profondeur à ces héros, avec une part belle faite aux femmes, loin d'être des plantes décoratives ou apparition éthérées apparaissant de loin en loin... Qu'elles soient victimes de négociations sordides, prises de guerres que l'on s'échange comme de vulgaires sacs de café ou de redoutables manœuvrières, elles sont fortes et libres, inoubliables. 

Si LA GRACE DES ROIS ne surprend guère dans son déroulé, si le dénouement répond à nos attentes ; le livre, une fois reposé, laisse un goût amer, que l'on cherche à évacuer en crachant sur le champs de carnage. Un goût saumâtre qui laisse présager d'autres épopées sanglantes. 

Vivement !

0 commentaires :

Enregistrer un commentaire