samedi 8 octobre 2016



"L’histoire est affaire de narration. Dire les histoires vraies qui affirment et expliquent notre existence, telle est la tâche de l’historien. Mais la vérité est délicate et elle a des ennemis. Voilà pourquoi, même si nous autres, universitaires, devons la rechercher, nous prononçons rarement le mot « vérité » sans y adjoindre des ornements et des réserves.
À chaque fois que nous racontons une histoire sur une terrible atrocité comme l’Holocauste ou Pingfang, les forces du déni se disposent à l’attaque, à l’effacement, au silence, à l’oubli. L’histoire a toujours posé problème du fait de cette délicatesse de la vérité, et les négationnistes ont toujours pu recourir à l’expédient de traiter la vérité de fiction."

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Bien le bonjour les aminches.

Un peu de science aujourd'hui, hum..?

Allez ! C'est ma tournée.

La photo ci dessus, le Monsieur au chapeau, représente un observateur de la chouette série FRINGE (enfin excepté la dernière saison). Le chauve Fringien est l'exemple type de l'Observateur faussant les résultat de l'expérience qu'il est en train de surveiller.

1935. Erwin Schrödinger...


... Qu'est pas le dernier pour la déconne, forge une hypothèse.


Un chat est enfermé dans une boîte avec un flacon de gaz mortel et une source radioactive. Si un compteur Geiger détecte un certain seuil de radiations, le flacon est brisé et le chat meurt. Selon l'interprétation de Copenhague, le chat est à la fois vivant et mort. Pourtant, si nous ouvrons la boîte, nous pourrons observer que le chat est soit mort, soit vivant.

Le chat de Schrödinger est ce qu'on appelle une expérience de pensée — une image, une fable, dont l'objectif est d'illustrer, de façon métaphorique, une théorie scientifique trop abstraite pour que l'esprit humain puisse se la représenter.

Erwin Schrödinger est en l'occurrence un des pères de la physique quantique et, pour simplifier, disons que l'expérience du chat, qu'il a imaginée, illustre l'hypothèse, qui défie tout ensemble la physique classique et le bon sens, mais a valeur de loi dans la mécanique quantique, selon laquelle « toute chose existe simultanément sous des formes opposées au sein de la réalité ».

Certes, c'est difficile à avaler, mais c'est ainsi, partons du principe qu'une chose puisse à la fois être et ne pas être, exister simultanément sous différentes formes pourtant incompatibles les unes avec les autres.

Ainsi "être ou ne pas être" cesse soudainement d'être la question.

Après avoir épuisé plusieurs paquets de kleenex pour endiguer les torrents de larmes provoqués par nos fous rires incontrôlés (Winou ! Quel fouf fouf !), allons plus loin.

1963. Eugène Wigner...


... Remet de la vanne dans le bouzin et affirme que c'est la conscience de l'observateur qui décide de la mort ou non du matou. Il lui suffit de regarder par le hublot.

Mouaaaah. La grosse poilade et je m'arrête là car je ne suis pas si sûr d'avoir tout bien entravé.

Ce que j'ai retenu c'est que l'observateur se doit d'être le plus neutre possible et abolir au maximum les interactions avec l'objet d'étude. C'est là que je me rends compte que mon choix d'observateur Fringien est singulièrement inadéquat tant il s'évertue à mettre sa zone.

Mais imaginons le spectateur ultime, absolu. Relégué derrière un miroir sans tain infranchissable. Sans plus de consistance qu'un spectre. Sans possibilité aucune d'interférer avec le milieu étudié.

Et qu'il puisse voyager dans le temps.

Futur proche.

Deux scientifiques mettent au point un procédé révolutionnaire permettant de retourner dans le passé. Une seule et unique fois par période visitée, pour une seule et unique personne, et sans aucune possibilité pour l'observateur d'interférer avec l'objet de son observation. 

Une révolution qui promet la vérité sur les périodes les plus obscures de l'histoire humaine. 

Plus de mensonges. Plus de secrets d'État.



Publié dans l'excellente collection de la non moins chouette maison d'édition Bélial qui nous déniche des pépites SF contemporaines. De courts romans. denses et profonds. 

En tout cas pour celui là.

Je lis de la SF depuis mon adolescence et j'ai, par la force des choses, développé des réflexes inconscients de lecteur assidu. L’HOMME QUI MIT FIN A L'HISTOIRE et l'on songe à un cataclysme, une impossibilité apocalyptique de deux réalités qui s'entrechoquent dans une explosion définitive de Matière Noire. Genre...

Kinini !

Outre son procédé formel séduisant, l'ensemble du livre se présentant sous la forme d'interviews pour un documentaire, parsemées ci et là d'indications de mise en scène, L'HOMME QUI MIT FIN A L'HISTOIRE, propose une réflexion sensible et approfondie sur ce qu'est l'Histoire. Une science ? En cela, une recherche de la vérité ? Ou une reconstruction nationale d'un mythe patriotique ? Ce qui en ces temps troubles pré-électoraux ne manque pas de sel sur les plaies...

En créant le voyage dans le temps...

[Dont les premières pages nous détaillent le procédé mis en oeuvre, premières pages que j'ai survolées pour tout dire. Ma formation scientifique avoisine le QI d'une Kardashian standard. Le photon est pour moi le diminutif de photomaton]

... Et surtout en limitant à un seul voyage possible et par là même aboutissant à l'impossibilité d'une vérification des dires du voyageur temporel de retour, le duo Kirino-Wei met fin à l'histoire telle que nous la connaissons et surtout créent un bordel sans nom, aux problématiques infinies

La diplomatie s'échauffe. La souveraineté nationale ne répond pas qu'à des coordonnées spatiales, elle s'étend aussi au passé.

"Savoir qui devrait contrôler le passé nous interpelle, sous une forme ou une autre, depuis longtemps. L'invention du procédé Kirino a fait du combat pour la maîtrise du passé un problème réel et non simplement métaphorique. 
Outre sa dimension spatiale, chaque état en possède une autre, temporelle. Il s'agrandit et se réduit au fil du temps, assujetti des peuples et parfois libère leurs descendants. (...) L'un des problèmes les plus fastidieux qu'engendre le processus violent et instable par lequel les États s'étendent et se rétractent s'énonce de la sorte : puisque la maîtrise d'un territoire passe d'une souveraineté à l'autre au gré du temps, sous quelle juridiction doit se trouver le passé du territoire en question? (...) on se demandait, au pire, si c'était à l'Espagne ou aux Etats-Unis de récupérer le trésor d'un galion espagnol du XVIème siècle naufragé dans les eaux américaines actuelles."

En outre, en limitant le champs d'études à l'effroyable Unité 731, Ken Liu remue un couteau pourrissant les relations sino-japonaises depuis la fin de la seconde guerre mondiale. 

Créée en 1932 sous mandat impérial japonais, dirigée par le général Shiro Ishii, l'Unité 731 se livra à l'expérimentation humaine à grande échelle dans la province chinoise du Mandchoukouo, entre 1936 et 1945, provoquant la mort de près d'un demi-million de personnes… L'Unité 731, à peine reconnue par le gouvernement japonais en 2002, passée sous silence par les forces d'occupation américaines pendant des années...

Moins connues sous nos latitudes (en tout cas par votre Blogueur) que les barbaries nazies, l'unité 731 est le révélateur d'un puissant dilemme moral. Le professeur Evan Wei, l'un des cofondateurs du voyage temporel, doit-il privilégier l'envoi d'historiens chevronnés à la période choisie ou bien réserver ces one-shot temporels aux descendants des victimes, quitte à décrédibiliser les personnes de retour qui témoignent de ce qu'elles ont vu, les négationnistes à l’affût de la moindre faille ? 

"J'ai été l'un des premiers à remettre en cause la décision d'Evan d'envoyer en priorité des volontaires possédant des liens de parenté avec les victimes de l'Unité 731 plutôt que des historiens ou des journalistes. Bien sûr, il souhaitait que les familles des victimes fassent leur deuil, mais des pans entiers d'histoire ont ainsi disparu à jamais pour apaiser des chagrins personnels, puisque sa technique est destructrice, comme vous le savez : une fois qu'il a envoyé un observateur à un endroit et à un moment précis, les particules de Bohm-Kirino s'annihilent et nul ne peut retourner là-bas. (...) Evan aurais sans doute dû lui aussi attendre qu'on invente un moyen d'enregistrer le passé sans l'effacer par la même occasion. Seulement, il aurait peut-être été trop tard pour les familles des victimes qui allaient bénéficier le plus de ces souvenirs. Il se débattait sans cesse entre les revendications antagonistes du passé et du présent." 

On pourrait pourtant croire que le voyage dans le passé, ce miroir sans tain sur une Histoire débarrassée de ses scories nationalistes, mettrait fin au négationnisme le plus poisseux...

Rions jaunes les filles !

Un court roman dont le ratio nombre de pages / réflexion fine, sagace et vertigineuse est proprement prodigieux.

On n'est plus si loin de la blague de Schrödinger.

'Tin ! On s'est bien marré !

Sauf le chat !

'Videmment...

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