lundi 11 février 2019


"- On coulera avec, a répliqué le boiteux. T'as entendu ce qu'a dit le camarade ... Ils ont des troupeaux d'assassins dans le Bois... Avec eux, pas de quartier... Tous ces lignards qui ont détalé devant les Pruscos, et qui maintenant se sentent du courage pour venir fusiller le populo, c'est tout fils de garces et soûlards comme leurs papas. Ce monde est bien encore au mains des brutes... La Sociale, ça sera pas pour ce coup-ci."


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Salutations citoyen.e.s

Parlons donc d'un temps que les moins de 148 ans ne peuvent pas connaître. Une parenthèse vite refermée à coup de baïonnettes dans la tronche. La Commune de Paris de 1871. Dans la foulée de la défaite de Napoléon 3 face aux Prussiens, la fin du second Empire, le peuple de Paris se soulève et se met à rêver. 

Un rêve dangereux. De justice sociale, d'égalité, de fraternité, de liberté, d'un slogan qui doit passer du burin au fronton des façades aux fait avérés. et ça... Non non non. Les Prussiens décident de laisser Thiers faire le ménages dans cette arrière cours révolutionnaire. Versailles va écraser Montmartre

C'est durant ce temps suspendu, cet effondrement d'un songe égalitaire que Hervé Le Corre situe son dernier roman. 


La "semaine sanglante" de la Commune de Paris voit culminer la sauvagerie des affrontements entre Communards et Versaillais. 

Au milieu des obus et du chaos, alors que tout l'Ouest parisien est un champ de ruines, un photographe fasciné par la souffrance des jeunes femmes prend des photos "suggestives" afin de les vendre à une clientèle particulière. 

Caroline disparaît un jour de marché. Une course contre la montre s'engage pour la retrouver. 

Hervé Le Corre (dont j'ai déjà aimé le formidable APRES LA GUERRE) est l'un des plumes les plus originales et aguerries du polar hexagonal. Se démarquant de la horde des Thilliez - Grangé - Chattam et leur intrigue biscornue et sérialkillisée jusqu'au trognon, il propose un canevas historique solide, engagé, porté par un style fiévreux et ciselé. 

Autant le dire illico, l'intrigue policière proprement dite n'est pas un modèle de page turner bondissant avec twist final packagé incorporé. 

Non. 

Le livre de Le Corre vaut surtout par la peinture vivante, empathique d'une période mal connue : la fin de la Commune. 

Et, on y est ! On tousse la fumée et la cordite. On sent l'odeur de la poudre et l’âcreté  du sang poisseux. On a l'estomac noué devant inéluctabilité. L'espoir est mort en ces dernières heures de la Commune. Les Versaillais, les Lignards, se rapprochent et fort de leur nombre et de leur puissance de feu, ils vont massacrer et fusiller, faire rentrer le populo dans le rang. Il n'y aura pas de pitié. 

"Avec une nation étrangère, on finit par conclure une paix, par signer des redditions ou des traités. Entre eux, princes et généraux, parfois bâtards du même sang, finissent toujours par se faire des politesses, se saluant de leurs chapeaux à plumes. Mais quand il s’agit de combattre le populo, pas de trêve, pas de quartier. Massacrer, tailler en pièces, pour qu’il ne reste plus que silence et terreur."

Le Corre est un orfèvre et prouve à nouveau qu'il est un grand styliste. Moins ampoulé que son fameux L'HOMME AUX LÈVRES DE SAPHIR, il déploie ici une palette sensitive. D'une plume imagée et inventive, il fait évoluer ses personnages sur le champs de bataille parisien. 

Et quels personnages ! Surtout le plus ignoble d'entre eux (que l'on retrouve après L'HOMME AUX LÈVRES DE SAPHIR). Une boule de rancœur et d'inhumanité mais dont Hervé Le Corre sait rendre palpable la complexité, ce meurtrier qui profite du chaos ambiant. 

Le Corre n'hésite pas à malmener ses personnages, on se surprend à relire certaines pages pour bien appréhender ce que l'on avait déjà compris mais eu du mal à croire. Il les pousse au bout de leur logique littéraire. 

Hanté de scènes hallucinantes et crépusculaires, peuplé de protagonistes touchants, médiocres ou superbes d'héroïsme vain, le spectre large d'un humanité batailleuse, le bouquin de Le Corre est l'une révélation de cette rentrée littéraire hivernale.

"- La société n'est pas une jungle où le plus fort devrait régner sur le plus faible et se nourrir de lui.
- C'est pourtant ce qui se passe, non ? C'est comme ça que ça marche, il me semble, pas vrai ?
- C'est vrai, mais il n'est nulle part écrit que cela doive durer toujours. C'est bien contre ce monde là que le peuple s'est révolté et pour construire autre chose que la Commune s'organise et se bat, vous ne croyez pas ? La dignité, l'égalité, la liberté sont encore à conquérir."

Oui. 

Plus que jamais.

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