dimanche 25 février 2024


Traduction : Pierre Szczeciner

« Dans l’ancienne capitale de la confédération, le bastion de l’égalité était la table d’autopsie. »

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Le Sud n’a pas changé. 

Ce constat, Titus Crown y est confronté au quotidien. Ancien agent du FBI, il est le premier shérif noir à avoir été élu à Charon, la terre de son enfance. Si son élection a fait la fierté de son père, elle a surtout provoqué la colère des Blancs, qui ne supportent pas de le voir endosser l’uniforme, et la défiance des Noirs, qui le croient à la solde de l’oppresseur. 

Bravant les critiques, Titus tente de faire régner la loi dans un comté rural frappé par la crise des opioïdes et les tensions raciales. Jusqu’au jour où Latrell, un jeune Noir, tire sur M. Spearman, le prof préféré du lycée, avant de se faire abattre par la police. Fanatisme terroriste, crient les uns. Énième bavure policière, ripostent les autres. 

À mesure que les dissensions s’exacerbent, Titus se retrouve lancé dans une course contre la montre pour découvrir la vérité.

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Le dernier roman de S.A. Cosby est préfacé par Stephen King. Rien d’incongru. Ils partagent quelque chose de puissant et d’indéfinissable : ils sont tous les deux des conteurs. Ils partagent ce même sens du récit, du tempo et ce style unique, inimitable.

Il y a trois types d’écrivain.e.s qui me viennent parfois à l’esprit. Les pisse-copies : ceux-là, celles-là, je peux les égaler. En lisant leur bouquin, je songe que j’aurais pu l’écrire, faire aussi bien, pas pire en tout cas. Les inatteignables : pas la peine d’y songer, je ne peux prétendre au génie de Alan Moore (par exemple).

Et il y a les fourbes, les trompeurs. On se dit : je peux le faire mais on réalise qu’on n’est pas armé, configuré, pour ce genre de livres. S.A. Cosby est de ceux-là.

L’enquête de Titus Crown, premier shérif noir de Charon County, la peinture vive, lucide, amère de ce comté sudiste, raciste, aux progrès vacillants ; tout cela te fait réaliser que Cosby maîtrise le flux.

Cette capacité à insérer son récit dans une trame serrée et chatoyante de mille reflets sans perdre notre regard, sans nous égarer, nous guidant par la grâce d’une plume sobre, élégante, sans sentence qui claque au vent. C’est fort, très fort.

Ce n’est certainement pas donné à tout le monde de juguler cette colère qui court le long des chapitres. Cette rage consciente d’être toujours en encore relégué à la seconde zone en raison de sa pigmentation. Cette angoisse existentielle de se mouvoir dans une zone grise, à la fois la haine ressentie par une bonne part de la population blanche parce que noir et la défiance d’une proportion non négligeable de sa propre communauté parce que shérif.

Le livre de Cosby a la force de l’évidence, parce que l’auteur connait ce Sud-là, ranci dans des préjugés ancestraux, qu’il aime malgré tout en un élan masochiste irréfragable. Posant ci et là, quelques touches plus véridiques que nature, au-delà d’une investigation bien foutue mais lue mille fois, c’est bien la trajectoire de ce colosse étoilé à la peau sombre qui nous happe.

Incroyable !

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