mardi 30 janvier 2024

« Le journaliste qui n'est ni trop bête ni trop imbu de lui-même pour regarder les choses en face le sait bien : ce qu'il fait est moralement indéfendable. »

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L’histoire est à tiroirs : le 17 février 1970, une mère et ses deux fillettes sont retrouvées assassinées dans leur appartement. Jeffrey MacDonald, le père blessé, ancien médecin militaire, est d’abord innocenté avant que les soupçons nombreux n’en fassent le principal suspect. 

Un écrivain sans succès, Joe McGinniss, s’intéresse à l’affaire et entre en contact avec le présumé coupable et ses avocats. Une relation d’amitié naît, les deux hommes se côtoient jusqu’au procès, échangent, s’écrivent, se confient jusqu’au verdict qui condamne MacDonald à la prison à vie. 

Accablé, l’écrivain ne cesse de témoigner son affection et sa tristesse dans leur correspondance. Quatre ans plus tard, le livre paraît. Mais à la grande stupéfaction du prisonnier, celui qu’il croyait être son ami offre un portrait à charge d’un homme qu’il considère comme un psychopathe et dont la culpabilité est à ses yeux une certitude. 

MacDonald du fond de sa cellule attaque le journaliste pour “tromperie et violation du contrat”. C’est le début d’une folle affaire judiciaire dont l’objet n’est autre que ce dilemme moral posé à quiconque s’empare par la plume de la vie des autres.

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Peut-on écrire sans trahir ? 


Cette question traverse le livre de Janet Malcolm, désossé à sa sortie mais considéré aujourd'hui comme un classique, étudié à la fac.


Janet Malcolm ne s'épargne pas, ne se peint pas sous les traits d’une idéaliste à la Capra vibrante de principes immémoriaux. Elle se dépeint comme une journaliste qui trahira fatalement pour atteindre une vérité subjective. La sienne. 

Joe McGinnis est un cas d'école. Membre de l'équipe de défense de Jeffrey McDonald, McGinnis va jouer un double jeu. Il va se convaincre peu à peu de la culpabilité de McDonald mais continue à feindre le meilleur pote, toujours prêt à partager une bière. 


Après la condamnation de McDonald, un échange épistolaire hallucinant s'installe. McGinnis plaint son "ami" Jeffrey en poursuivant une entreprise de démolition systématique de son système de défense.

McGuinnis a besoin de McDonald pour accéder à tout ce qui peut alimenter son bouquin : les écrits de McDonald, les confidences de sa mère. McDonald a besoin de McGinnis pour le réhabiliter. Croît-il. Le moment où il apprend, médusé, qu'il s'est fait duper bien profond... Cette scène est terrible.

Le procès qui s’en suit, entre un reconnu coupable de meurtre de sa femme et ses enfants et un journaliste retors va tourner à l'avantage du premier. Sidérant verdict.

Quête habile, psychanalytique, des relations machiavéliques qui se nouent dès que l'on nous tend un micro, Le journaliste et l’assassin est un bouquin saisissant sur l'ambiguïté morale entre auteur et sujet, chacun essayant de se nourrir de l'autre. 


Ce sont souvent les mêmes qui se repaissent des restes de l'autre.

Longtemps resté introuvable, ce livre culte est à nouveau en librairie grâce aux excellentes Éditions du Sous-sol.

Je vous invite à écouter le podcast passionnant du Bookclub de Fance Culture où vous entendrez votre serviteur poser une question pas trop comme j’espère.

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