dimanche 22 octobre 2023

Traduction : René Solis

« C’est comme les ouragans tropicaux : ils passent, ils font un max de dégâts et puis ils s’en vont, ils se perdent… »

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2016. La Havane reçoit Barack Obama, les Rolling Stones et un défilé Chanel. L’effervescence dans l’île est à son comble. Les touristes arrivent en masse. Mario Conde, ancien flic devenu bouquiniste, toujours sceptique et ironique, pense que, comme tous les ouragans tropicaux qui traversent l’île, celui-ci aussi va s’en aller sans que rien n’ait changé.

La police débordée fait appel à lui pour mener une enquête sur le meurtre d’un haut fonctionnaire de la culture de la Révolution, censeur impitoyable. Tous les artistes dont il a brisé la vie sont des coupables potentiels et Conde a peur de se sentir plus proche des meurtriers que du mort…

Sur la machine à écrire de Mario Conde, un texte prend forme : en 1910, la comète de Halley menace la Terre et un autre ouragan tropical s’abat sur La Havane : une guerre entre des proxénètes français et cubains, avec à la tête de ces derniers Alberto Yarini, un fils de très bonne famille et tenancier de bordel prêt à devenir président de la toute nouvelle République de Cuba.

Le présent et le passé ont et auront toujours des liens insoupçonnés.

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Padura, pour moi, est avant tout l’auteur d’un des grands romans que j’ai lus : L’homme qui aimait les chiens.  C’est pénible les livres de panthéon, les romans de chevet, ils écrasent. On a la lecture sourcilleuse, on mesure à l’aune du chef-d’œuvre, mètre étalon de la bibliographie.

Léonardo a la parade. Mario Condé. Sa botte secrète, son « Lagardère, à la fin je plante au milieu du front » à lui. Quel personnage ! Connaissons-nous beaucoup de privés qui se soucient de savoir s’ils vont pourvoir compter sur un quota de protéines minimum dans les semaines à venir ?

L’autre personnage de ces Ouragans tropicaux est Cuba. Telle une vieille décapotable rajeunie d’un coup de peinture et de polish, croyant faire oublier un pot encrassé et une misère décadente. C’est ça Cuba, pas vrai ? On dirait le sketch de Coluche : « La misère c’est beau quand c’est bien fait. »

Cuba a la misère élégante, décatie mais charmante. Et ça, Condé, ça le fume. Peu lui importe que Obama vienne à Cuba et que les Stones roulent des hanches, il sait lui que Cuba ne change pas. Qu’un ancien cacique du régime, censeur culturel bien dégueulasse, meure les parties génitales au fond de la gorge et il repart à l’enquête, atmosphérique et sinueuse. Éternel misanthrope lucide, refusant l’exil, éternel enquêteur.

Leonardo ajoute un dispositif narratif, récurrent en cette RL, lancinant comme une rage de dents. Qui chez lui fonctionne à merveille. La mise en abîme. Parallèlement à la traque investigatrice de Condé, nous lisons les chapitres que ce même Condé, qui se pique de littérature, consacre à un ancien notable et souteneur de La Havane de 1910 qui rêve de devenir président de la toute nouvelle République.

Les récits se croisent, se répondent, sans se fondre.

Si vous cherchez une enquête carrée avec le twist final, « Foutrecul le tueur en série était le flic/reporter/avocat/danseur de salon ! », vous risquez un léger désappointement. Pas grave, les tables en débordent.

Si vous voulez l’un des meilleurs livres de cette RL en revanche...

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