dimanche 22 octobre 2023

« Toujours au mauvais endroit au mauvais moment depuis qu’il avait vu le jour. »

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1627, sur la route des Indes, dans la fureur d'une ville assiégée, dans le dédale des marais et des dunes battues par le vent, l'aventure est en marche et trois héros ordinaires verront leur destins réunis par une tempête dantesque...

Il y a Marie sur la côte landaise. Pour échapper aux autorités qui la recherchent, elle s'est réfugiée dans une communauté de pilleurs d'épaves sous la coupe d'un homme brutal. La jeune fille à peine sortie de l'adolescence refuse pourtant de baisser la tête.

Au Brésil, il y a Diogo, orphelin engagé dans la guérilla portugaise qui tente de reprendre Salvador de Bahia aux Hollandais.

Et à Goa, il y a Fernando, engagé de force dans l'armée portugaise, qui met tout en oeuvre pour échapper à sa condition.

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1/ Le lointain et le proche

Soit deux soldats de fortune, de celle qui se dérobe inlassablement. Un jeune portugais orphelin de par la guerre, toujours la guerre, qui va se trouver un destin de mercenaire et un frère d’arme indien d’Amazonie. Une jeune landaise, miséreuse mais indomptable, naufrageuse par nécessité. 

Le monde de Yan Lespoux, celui de 1627, est immense. Il n’est pas encore ce village globalisé. Les six degrés de séparations ne sont même pas une chimère, le rêve d’un songe d’une esquisse d’idée. Et pourtant, Yan, en un mouvement orchestral qui donnerait à penser que Karajan est un parkinsonien rhumatisant, va les réunir. 

Les romans d’exception (et Pour mourir, le monde en est un) sont des modèles d’équilibre entre un narratif puissant et des personnages qui peuplent le récit et le font oublier. Une actrice incarnant son texte occulte de notre regard les rangs de sièges voisins, les planches délavées de la scène, les grincements du théâtre. 

Yan Lespoux nous balade de mer en océans, nous embarque en des nefs ingouvernables, emplies de misère, de vomi, d’hygiène douteuse et d’envies de meurtres. Il nous trempe au sein de moussons dévastatrices ou de bouillards médocains poisseux. Il nous étouffe dans le carcan d’une jungle brésilienne impénétrable où l’espoir d’un horizon est vain.

Sans jamais que l’on soupçonne la machinerie dantesque qu’il faut mobiliser pour que l’édifice tienne, le navire navigue. 

Et, à la toute fin, car il faut bien qu’il y en ait une hélas, ce sont bien les personnages qui bruleront vos rétines et imbiberont vos synapses. Fernando, Simao, Diogo, Marie (ah Marie...).

Et Menenses. 

Je ne sais rien du Menenses, qui a vécu, navigué, tué et mourut. Mais Celui-ci ! Celui que Yan Lespoux a tiré de la glaise de son encrier... Souple comme un affleurement coupant au ras des flots, flexible comme un boulet fracassant le grand mat. Si certain du Destin extraordinaire du Portugal, petite nation par la superficie grande par sa mainmise sur les mers du monde. Ce Menenses-là, je ne l’oublierai jamais.


2/ Jubiler et juguler

« Il faut que je meure ici ou que je vive enfin ailleurs. »

Jubiler et juguler ont une sonorité semblable. Marmonnés rapidement, les deux verbes sonnent pareillement aux tympans. Pourtant, on ne les imagine pas se compléter. D’instinct, on ne les associe pas, on les opposerait plutôt, presque. 

Pourtant Yan jugule le Tumulte fracassant qui roule dans les pages de son phénoménal roman, et il nous permet de jubiler. Le délire sans maîtrise est rarement (jamais ?) le principe qui font les bons romans. On en accepte volontiers l’augure et puis on se lasse. Il en est de même pour les romans historiques foisonnant. L’écrivain a travaillé, l’autrice a compilé, accumulé une masse d’informations. La tentation est grande de valoriser son labeur et de le caler dans le bouquin. Qui boursoufle, déborde, prend l’aspect rebutant d’un mille-feuille fourré à la pate d’amande inséré dans un kouglof. 

Yan Lespoux nous épargne l’Aventure épuisante, blockbustérisée aux hormones de croissance à deux chiffres. Il nous préserve également des notes de bas de pages en police 6, les glossaires interminables et savants d’un vocabulaire vite oublié. 

Yan Lespoux dans ce chœur marin, voyageur, aventureux, tragique et picaresque, navigue. Il manœuvre superbement, bien plus que ces nefs difformes, ingouvernables qui fendent les vagues de son récit monstrueux. Car Pour mourir, le monde est un monstre de puissance narrative, de personnages inoubliables et de folie des hommes. Un monstre d’élégance, de virtuosité et d’émotions.

Je n’ai aucun sens de la jugulation. J’en suis navré. Mon post part en tous sens. J’ai adoré ce livre. J’aimerais toucher les cœurs, que mon compte somme toute confidentiel, se mue l’espace d’un moment en Léviathan numérique pour toucher le plus grand nombre. 

Pas d’inquiétude, Pour mourir, le monde n’a pas besoin d’un influenceur, il a des lectrices, des lecteurs et des libraires qui le portent comme il les a portés. Pour mourir, le monde fera de vous des naufragés volontaires, emplis de gratitude. 

Quel roman !

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