dimanche 9 juillet 2023


Traduction : Morgane Saysana (qui n’a dû ni chômer ni s’ennuyer)

« [...] qu’y a-t-il de si spécial dans la notion de génocide pour ouvrir ainsi l’appétit ? À quand le marketeur avisé qui suivra l’exemple fructueux donné par certains restos cinéphiles comme le Carnegie Deli à New York, ou Canters à Hollywood, et proposera des sandwiches baptisés d’après des vedettes ? Le Carnegie avait le Woody Allen. Canters, le Buck Benny. Pourquoi Auschwitz ne revendiquerait pas le Primo Levi : pain de seigle et pastrami ? Arbeit Macht Frites ! »

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En septembre 2016, l'inénarrable Jerry Stahl touche le fond. La dépression qui le ronge depuis toujours est au plus haut, sa carrière et sa vie personnelle au plus bas. 

Lorsqu'il découvre au détour d'une improbable alerte Google « Holocauste » que des tours opérateurs organisent des voyages en car à travers l'Allemagne et la Pologne sur les lieux de la tragédie, il décide de s'inscrire. 

S'il ne peut soigner sa dépression, il ira la nourrir en compagnie de ces étranges « touristes des camps de la mort »

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Dans le film de SF Le jour où la Terre s’arrêta, un extraterrestre, Klaatu, se pose sur le sol de notre planète et s’interroge si oui ou non il faut sauver notre espèce. De nos jours, je ne crois pas qu’il fera le déplacement en contemplant les gens, au bout de leur perche à selfie, se portraiturant numériquement devant une chambre à gaz.

J’ai officié au Folio des libraires et l’un des excellents bouquins que j’y ai lu est le Serge de Yasmina Reza. Le corps de ce livre, son cœur nucléaire, est le périple qu’effectue Serge et sa famille à Auschwitz. La noria d’autocars déversant les touristes à Bob dans ce qui devrait être le temple de la décence.

Lecture malaisante, grinçante mais qui n’est rien, rien, face à la furia comique, tragique et profonde du récit de Jerry Stahl. Stahl qui aux prises avec ses démons, dépressif absolu, accepte la rédaction d’un article sur les voyages organisés dans les camps de la mort, un Shoah tour.

Juif cynique et angoissé, Stahl est un Charon existentiel, hilarant et acerbe. IL nous interroge. il est facile de condamner celles et ceux qui vont arpenter les étendues d’herbe rare d’Auschwitz et Treblinka, certains ont une démarche sincère, sans doute, mais je peine à comprendre... Il faut dire que je ne saisis pas qu’on photographie son petit-déj alors un selfie à Auschwitz !

Lire Stahl nous rappelle notre humaine condition, peu reluisante, éloignée des plus hautes considérations. Il nous immerge dans une odyssée tragiquement comique, terrible reflet de notre époque. La seule chance qui nous reste est que Klaatu lise Jerry Stahl.

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