dimanche 9 juillet 2023


Traduction : Pierre Szczeeciner

« Le seul chemin qui s'ouvrait à eux était sombre comme la mort et pavé de mauvaises intentions. »

***

Ike Randolph est noir. Buddy Lee Jenkins est blanc. En Virginie-Occidentale, cela revient à dire que tout les oppose. 

Ils ont pourtant été tous les deux pareillement lamentables en dénigrant avec la même violence l'homosexualité de leurs fils, maintenant mariés l’un à l’autre. 

Alors, quand Isiah et Derek sont assassinés, la douleur a un goût de culpabilité. Qui a tôt fait de se transformer en colère, une colère viscérale, qui réclame un exutoire.

***

Voilà un livre que je n’ai pas vu suffisamment réseauter, jumper de scroll en scroll pour néologiser en toute impudeur. Si on pouvait un court instant reposer le (formidable) Dennis Lehane et se pencher sur ce polar roublard, dense et profond, qui file aussi vite qu’une lame entre deux côtes...

Deux lectures de La colère semblent cohabiter. Celle qui se focalise sur le pur fun et saignant de cette odyssée de deux pères en faillite qui ne cherchent pas une impossible rédemption, ils ont cette lucidité-là, ils veulent la vengeance, la plus brutale et sanglante possible. Et l’autre plus abyssale, celle de la douleur qui submerge, de la culpabilité sourde et tempétueuse, celle qui aborde frontalement l’homophobie qui prospère dans toutes les communautés.

La misogynie crasse et l’homophobie rance font fi des barrières des pigments, des cultures, des religions, des classes sociales. Ce que l’humanité partage réellement, c’est la haine de ce qui n’est pas soi. En lisant La colère, on se dit qu’être un mâle blanc hétéro, cela facilite le quotidien. En Virginie occidentale, c’est carrément buffet à volonté...

À vrai dire, je ne pense pas que ces deux lectures puissent se distinguer, elles finissent inévitablement par se fondre en un récit vif, castagneur et poignant. D’une dimension sociologique rare dans ce genre de roman démentiel. Les dialogues homophobes au sein d’un salon de barbier afro-américain sont d’une banalité terrifiante et interrogent.

Cette Colère ne cesse de nous questionner, de nous bousculer, dans notre certitude d’être un mec bien, sans trop creuser un passif de blagues douteuses, de regards détournés, de certitudes lycéennes... Nos deux pères de familles endeuillés, le black et le redneck, ne détournent plus les yeux, ils ne peuvent plus.

Je ne sais trop si je saurai convaincre beaucoup de lire La colère, un ou deux suffiraient à mon bonheur.

Lire les poings serrés et les larmes aux yeux, n’arrange pas la lecture. Le livre tombe parfois et la vue se trouble mais l’âme s’en trouve remuée durablement.

0 commentaires :

Enregistrer un commentaire