mercredi 10 mai 2023


Traduction : Jacques Collin

« Certains disent que tout ce qui n’est pas le Brésil est mieux que le Brésil. »

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2018, São Paulo. Trois adolescents paumés, surexcités par le discours du président en devenir, agressent un homosexuel et lui gravent au couteau, sur le torse, le V de la victoire et une croix gammée.

2003. Les inspecteurs Mario Leme et Ricardo Lisboa, de la police civile, enquêtent sur la mort du directeur de la British School. Leur hiérarchie souhaite une conclusion rapide : un cambriolage qui aurait mal tourné sera la version officielle. La police militaire prend le relais, fait une descente dans une favela et arrête un coupable bien commode.

C’est là le début d’une incroyable fresque sociopolicière à laquelle participent une myriade de personnages : un ex-agent de la CIA chargé de blanchir de l’argent, un enfant des rues qui gravit les échelons d’une organisation mafieuse, l’assistante de la maire de gauche et bien d’autres.

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Dans les remerciements clôturant le pavé dense, impressionnant, qu’est Brazilian Psycho, Joe Thomas écrit : « La phrase qu’emploie Anna, Il faut savoir sucer utile, est adaptée d’un roman de James Ellroy. Je lui dois bien plus que cette citation. »

Tout est dit. L’ombre du Mad Dog porte sur les presque 600 pages de cette fresque hallucinée, névrotique du Brésil des années Lula à l’avènement de Bolsonaro. Cela étant, deux choses. Il vaut mieux s’inspirer de James Ellroy que de Bruno Lemaire. Joe Thomas a de la personnalité.

Oui, Brazilian psycho fait irrésistiblement songer à du Chacal version American Death Trip, avec une spécificité : nous sommes à Sao Paulo. Ellroy à Los Angeles, David Peace Leeds ou Tokyo, Joe Thomas Sao Paulo.

Plus que le Brésil, c’est en cette mégalopole monstrueuse, mutante, viciée et prodigieuse que nous plonge Joe. Un centre d’affaire rutilant de verres et d’angles coupants, des propriétés prospères où de riches connards s’ébrouent, protégés par des clôtures et des gardiens. Gardiens qui retournent dormir dans les favelas qui cernent les peaux liftées et les corps sculptés. La Favela est LE personnage de ce livre.

Thomas pour approcher au plus près du réacteur nucléaire, adopte un récit kaléidoscopique, complexe où il faut accepter de se perdre. Les personnages sont nombreux mais quelques-uns et quelques-unes (surtout) se détachent. Le flic cherchant à préserver une goutte d’intégrité dans un océan de corruption, une avocate faisant le bien en lançant les dés qu’elle sait pipés...

Et l’ensemble fait corps. La cohésion se crée sous nos yeux comme nous tournons les pages frénétiquement, effarés de découvrir l’étendue de la gangrène. Une subornation galopante, un pourrissement généralisé.

Un roman Ellroyen dans sa construction mais du Ellroy humaniste, presque. Joe Thomas sait où sont les victimes et les gagnants et ne les fond pas dans un même brouet misanthrope et cynique comme le fait (un peu trop) souvent le grand chauve aux chemises hawaïennes.

Un voyage phénoménal. Sans valise. On voyage léger. Enfin léger...

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