samedi 15 avril 2023

***

Bouleversée par le témoignage d’une prostituée nigériane, la journaliste Serena Monnier se rend à Lagos pour enquêter. 

Guidée par les militantes de Free Queens, une ONG qui lutte pour le droit des femmes, Serena découvre vite l’ampleur effarante des réseaux criminels qui prospèrent grâce à la prostitution. 

Pire, que des multinationales en font, au vu et au su de tous, une arme commerciale particulièrement efficace.

***

J’ai l’habitude de commencer mes post par une citation du bouquin chroniqué. Je n’en vois pas la nécessité pour le polar de Marin Ledun.

Il ne fait pas dans la punchline qui claque au vent Marin Ledun. Plus exactement, son livre, de la première lettre à la dernière, fait l’effet d’une claque ou d’un direct à l’estomac.

À nouveau, il s’empare d’un produit et en dissèque les répercussions de sa diffusion dans la société. Il avait déjà fait le coup dans son précédent et excellent opus Leur âme au diable sur l’industrie de la cigarette, comment contourner l’interdiction de la réclame et amplifier la propagation de la clope.

Free Queens est encore supérieur. Car il y a là un personnage supplémentaire, de première grandeur, lumineux et obscur, emprunt d’une certaine noblesse et sordide : le Nigéria. Un oxymore de 213 millions d’âme. S’appuyant sur un travail documentaire que l’on devine détaillé, rigoureux, d’une plume clinique et fluide, Free Queens dévoile implacablement le lien entre la principale marque de bière du pays et la prostitution féminine. Que les bénéfices florissants de l’une découlent de l’activité de l’autre, dans un pays au bord du chaos.

Winslow avait le Mexique, Ledun a le Nigéria. Et je ressens le même sentiment en lisant Ledun, ce pays regorge d’opportunités siphonnées et accaparées par les mêmes, toujours les mêmes. Le tout nappé dans une corruption endémique. Pauvre Nigéria putain ! Accablé par une classe politique gangrenée, une police aux ordres n’œuvrant que pour la conservation et l’optimisation du système... Certaines se battent, certains (moins nombreux) aussi.

Ledun déploie un chœur tragique, où plusieurs personnages du plus élevé au plus bas, des cimes au tas de merde, se côtoient, se frôlent, s’imbriquent dans un récit labyrinthique, d’une grande maîtrise. Une colère froide courre tout le long du livre, une tension sourde, une rage analytique qui ne verse jamais dans le slogan facile et réducteur mais qui sait choisir son camp. Celui qui morfle.

Que dire ? On n’oubliera pas Free Queens. Son ultime phrase qui retourne le bide. On ne boira plus jamais une bière fraiche sans un pincement.

Quatre syllabes : sensationnel !

0 commentaires :

Enregistrer un commentaire