dimanche 23 avril 2023

« Ivres de vent et d’espace retrouvé [...] »

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Alma, jeune employée tehuelche d’une grande exploitation agricole, a pour mission d’assurer le transfert d’un troupeau de chevaux, en compagnie du gaucho qui les vend. 

Chevauchant leurs montures dans les contrées patagoniennes, ces deux solitudes vont apprendre à se connaître, à braver les difficultés et leur passé qui les rattrape sans crier gare. 

Sans compter qu’un barrage, tout proche, est sur le point de céder…

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J’avais pensé ce post comme une lettre adressée à l’autrice, Agathe Portail, que j’ai déjà croisée (je me souviens d’une conversation débridée sur les bienfaits du roman Noir). Et puis non. Croiser ne veut pas dire connaitre suffisamment pour se permettre cette illusion de correspondance mais j’en ai gardé l’accroche.

Si j’ai parcouru les précédents livres de Agathe Portail, si j’ai repéré cette plume déliée et immédiatement immersive, la même qui fait des prouesses dans ce livre, je n’ai pas lu ses romans de cosy-crime. Pardon. Cosy-mystery faut-il dire dorénavant selon la novlangue éditoriale en vigueur.

Je n’ai rien contre le cosy-crime (fuck la novlangue) et rien pour. Ce n’est pas ma came. Je me réjouissais donc du passage d’Agathe chez Actes Sud. Me faisant cette remarque, si je n’aime pas, je n’en parle pas.

Mais j’en parle.

Agathe déroule ici une sorte de littérature hybride : roman d’aventure, de voyage, d’initiation, Noir et nature-writing ; en un seul mouvement délié, plein de grâce.

Elle esquive tous les pièges. Situé dans la pampa, au plus près des sabots des chevaux du gaucho taiseux et de la native acérée, Agathe ne sombre pas dans le folklorisme pesant, l’exotisme mièvre, le développement personnel du dépouillement nécessaire à la mode rugueuse du cow-boy argentin.

On ne lit pas une litanie mollasse de gestes économes et ancestraux. On SAIT la somme de travail documentaire mais on ne la SENT pas. Et pourtant nous sommes là, à quelques pas tout au plus du feu de camp, on humerait presque l’odeur du maté chaud.

Et puis... Agathe vient du polar. Elle sait instiller une tension. Ramassé sur quelques jours, son récit est tendu comme un arc à un souffle du claquage. Les tonnes d’eau, retenues par un barrage semblant défaillant, pèsent sur nos épaules.

Ajoutez une analyse fine et engagée sur la spoliation des natifs, l’enfermement paradoxal alors que l’horizon est inatteignable... Vous obtenez un roman qui se lit comme se boit comme un shot de tequila arrosé de maté, vif et brulant ; de ces brulures qui durent...

Un livre remarquable sur la fin d’un monde qui présage celle du notre.

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