lundi 13 février 2023

Traduction : Jonathan Baillehache

« La sensation de revenir à la vie, mais pas complètement, une semi-vie peut-être. »

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Lorsque vous ouvrez les yeux, vous ne savez plus qui vous êtes ni d'où vous venez. 

Vous savez que le monde a changé, qu'une catastrophe a détruit tout ce qui existait, et que vous êtes paralysé à partir de la taille. 

Un individu prétendant être votre ami vous dit que vos services sont requis. 

Vous voici donc transporté à travers un paysage de ruines, sur le dos de deux hommes en combinaison de protection, vers quelque chose que vous ne comprenez pas et qui pourrait bien finir par vous tuer. 

Bienvenue dans la vie de Josef Horkaï.

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Un livre écrit à la première personne du singulier ou à la troisième, ce n’est pas neutre. Peut-on se fier au narrateur quand le JE est l’angle narratif choisi ? Après tout, le seul point de vue que l’on a sous les yeux est celui de celle ou celui qui raconte. De nombreux livres joue de cette ambiguïté. Le IL ou ELLE est neutre, presque passif, il est donc censément plus fiable. Le IL ou ELLE permet de multiplier les focales, accumuler différentes versions jusqu’à la seule avérée.

Une convention littéraire. Brian Evenson, les conventions...

Son formidable roman Immobilité s’inscrit dans un IL qu’on jurerait être un JE. On colle aux basques de Joseph Harkaï qui émerge suite à un long sommeil dans un monde en ruine, un monde qui a connu la Chute, brutale et définitive. Il est quelque peu paumé Horkaï, il erre dans un univers dont il ne maîtrise plus les règles, ni les contours, où chaque réponse soulève d’autres questions.

Si nous étions nous même dans la situation de Horkaï, « paumé » ressemblerait furieusement à une litote, t’es gentil. Ballotés dans une existence qui se singularise par non pas une totale perte de repères mais un complet remplacement de ces derniers par de nouveaux dont nous ignorons tout.

Mais pas de panique, c’est un IL. Nous saurons. Forcément. C’est le deal du IL. C’est comme ça que ça marche.

Seulement voilà, si nous collons aux basques de Horkaï comme je disais, nous ne collons qu’aux siennes. Première entaille au IL. La deuxième est que ce IL n’est pas plus sincère qu’un JE aux abois.

Evenson joue magnifiquement ce flottement. Il nous en dira beaucoup Brian, notamment lors d’un dénouement que je n’oserais pas qualifier de peur de livrer par mégarde le début d’un soupçon de dévoilement coupable. Mais nous serons loin de tout savoir.

Entretemps, Evenson nous tient (!) avec la trajectoire chaotique de Horkaï, parsemée de scène hallucinées que nous ne sommes pas certains d’avoir compris plus que lui.

Un roman étrange, hypnotique, qu’il est rigoureusement impossible de lâcher. C’en est presque effrayant.

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