dimanche 9 octobre 2022

Traduction : Nicolas Richard

« À partir d’un certain moment, le whisky refusait de faire son effet. »

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Joe Lon est un sale type qui a grandi aux côtés d'une sœur folle et d'un père brutalisant ses chiens. La mère a disparu. Les potes se défoncent, attendent le soir et cherchent dans les excès un espoir d'ailleurs qui ne vient pas. Joe Lon est leur meneur égaré qui, un jour, pour écrabouiller l'ennui, noya dans le fleuve un voyageur perdu. 

Il habite désormais le camping avec ses deux gosses et tabasse sa femme. Joe Lon attend comme une bombe, caresse ses crotales et maudit l'univers. Un jour, il le sait, Berenice reviendra. Ce jour sera celui de la foire aux serpents. 

De purs déjantés arriveront de partout. La fête sera folle et ce sera la mort, l'hystérie et le sang. Berenice, alors, le capturera de nouveau de son regard d'absinthe et tout redeviendra possible : le pire, la passion brute, ce qui n'arrive qu'avec elle et fascine pourtant...

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Injecteur : dispositif permettant l'apport de matières gazeuses ou liquides. Harry Crews est un injecteur dans la littérature, de liquide principalement, frelaté et alcoolisé surtout. 

Je me faisais la réflexion, entre deux bâillements, devant la série luxueuse tiré de l’œuvre de papy T, que Tolkien et Crews avait peu en commun. Il y a peu de lustre chez Harry et les personnages n’utilisent pas plusieurs paragraphes pompeux pour dire qu’ils veulent boire un coup. Harry Crews c’est l’étrange dans la fange, le splendide dans le sordide (et inversement). Rarement il aura été autant le chantre des fluides et de l’avilissant que dans La foire aux serpents. 

Parsemée de scènes hallucinées parfaitement maitrisées, la plume rongée à l’acide, à l’humour plus noir que le goudron, La foire aux serpents est également l’éclatante démonstration de la science du dialogue chez Crews. Les pages consacrées au rapiéçage de la pine du shérif local sont parfaitement saisissantes de drôlerie.

Situé dans la ville fictive de Mystic dans un Sud poisseux et rance, ce roman aux allures de fin du monde assène avec une réjouissante implacabilité qu’il n’y nul besoin d’un virus ou de morts sortant des tombes pour hâter l’apocalypse. L’alcoolisme effréné, la débilité en dérivant et l’espoir mort-né y conduisent plus sûrement.

Harry Crews est l’indigne représentant de cette littérature sudiste où la chaleur colle les chemises. Les édentés jouent au banjo et la consanguinité est le mode de reproduction privilégié. Crews en est le bâtard honteux, le grimaçant derrière la moustiquaire, la roue voilée qui grince. La foire aux serpents est son feu de bengale. L’incendie qui couve, qui couve. Le chuintement léger de la pression qui monte jusqu’au blast final.

Portant son œil sur les éternels perdants de l’existence, Harry les regarde moins tendrement qu’accoutumé, la bienveillance laisse place à l’incision pour une plongée irrévocable dans la folie.

Je doute que Harry Crews se retrouve un jour en Pléiade. C’est dommage, le cale-porte aurait eu de la gueule pour une fois ! 

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