mercredi 5 octobre 2022

Traduction : Olivier Lannuzel

« Le monde n’est qu’une suite rectiligne de dominos mettant à bas d’autres dominos, eux-mêmes abattant les suivants, sans autre alternative. »

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Le coup de foudre est immédiat entre Bruna, jeune employée modeste, et Frane, futur marin.

 Rapidement, le couple se marie et emménage au deuxième étage de la maison des parents de Frane où sa mère, Anka, vit toujours. 

Quelques années plus tard, leur vie bascule lorsque Bruna est emprisonnée à Pozega pour le meurtre de sa belle-mère...

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Je ne lis pas de polar domestique. Cette martingale douteuse qui pénètre les arcanes forcément pernicieux du domicile conjugal. Le drame se noue entre le plan de travail et le rouleau de sopalin. Et je m’en fous misère... Les atermoiements des héroïnes (ce sont souvent desperate housewives en boucle) qui sirotent du vin rouge dans des verre à pied plus hauts que la bouteille dont il dès l’après-midi, comment dire, je m’en carre autant que le calendrier d’une coupe du monde.

D’où ma question : comment il fait Jurica Pavicic ? Comment provient-il à me happer avec son drame intimiste, familial, quant tout est connu voire joué dès les premières pages ?

Il en faut du talent pour insuffler une tension continue alors que le drame s’est déjà produit. Nous commençons notre lecture là ou d’autres se terminent : l’incarcération de la coupable. Verdict et moralité préservée, tout va bien. Tout va bien.

Jurica Pavicic (qui est bien parti pour devenir la coqueluche des libraires qui lui installe un autel dérobé en arrière-boutique. Cérémonie et déclaration d’amour dans les réserves...), après la déflagration de L’eau rouge, dévoile un autre pan de la Croatie, moins spectaculaire, plus familier, la place des femmes. Elles ont autant droit à la prise de décision qu’un thon rouge dans une sortie de pêche.

C’est dans la trajectoire de Bruna, meurtrière, que Jurica Pavicic déploie l’étendue de sa palette, en une plume nerveuse, précise et clinique sans abdiquer une empathie concise. Le dénouement vient achever la sensation de complétude de ce bouquin majeur, l’un des grands de cette rentrée littéraire qui ne se réduit pas à la force de frappe de Madrigal.

Les dernières pages sont en effet d’une grande justesse, amorales et touchantes. Quand Bruna vit sa vie, la vit vraiment. Et de constater que tout n’était pas joué finalement. Saisissantes elles m’ont saisi pour le coup et laissé les paupières rassasiées d’une beauté apaisée.

Agullo et sa deuxième cartouche de cette rentrée quand tant d’autres tirent à blanc...

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