mercredi 29 juin 2022

« L’administration française, c’est le diable en costume-cravate [...]. »

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À ​Thiaroye, un quartier proche de Dakar, trois amis passent le bac.

Issa a toujours l’air de savoir où il va quand il marche. Il a passé les épreuves avec un Bic marabouté, un Bic qui donne la confiance. Il aime les ragots de quartier et sa machine à coudre. Il sera styliste, c’est sûr.

Neurone a le cerveau bien huilé, c’est une bête à concours. Il déteste les costumes-cravates, ceux qui font la sieste dans les hémicycles les mains croisées sur leurs ventres bien remplis. Lui, il n’aime que Tibilé.

Tibilé, on l’appelle Tibi la Toubab, Tibi la Blanche ou Tibi la Française, car tout le monde sait qu’elle va partir en France. Elle est la plus intelligente de mes enfants, répète son père.

Dans une semaine, les résultats du bac vont les percuter. La vie court trop vite, il faut la croquer.

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Le tchip est un bruit de succion. Il équivaut souvent à un agacement, indiquant une forte désapprobation... Je ne tchiperai pas le deuxième livre de Hadrien Bels, où Dakar vient à nous.

Dakar n’est pas une ville. Elle est à peine un lieu. Dakar ne répond pas aux prérequis. Elle ne soumet pas aux définitions spatiales, administratives, géolocalisées de toutes ville qui se prétend l’être. Dakar, je cois que c’est une dimension.

À l’heure où le Multiverse sert de soupape créative à des scénaristes en manque de création, Dakar est un avatar extraordinaire de lignes dimensionnelles qui se multiplient sans frein. Dakar est un carrefour de tous les possibles sans panneaux ni voies tracées.

Dakar. Où un troupeau peut traverser la chaussée dans la brume, au milieu des SUV rutilants. Où la pollution côtoie la tradition. Où le baccalauréat signifie encore quelque chose, une porte de sortie, une ligne de fuite.

Tibilé attend les résultats du bac. Si elle obtient le sésame, elle part en France. La France le pays où Tibi pourra glander à l’égal des garçons. Où Tibi ne sera pas mobilisée en permanence pour les courses, le ménage, etc... Pendant que les mecs font du gras en se claquant le pouce sur une Playstation...

Hadrien n‘est pas un arpenteur de pavés aux jolies jointures. Je le vois mal situer son action au sein d’un quartier bourgeois où des triangles amoureux plus chiants qu’une fiche technique se nouent en des hôtels particuliers donnant sur des parcs arborés qui font eux aussi la jolie jointure entre les pavés et les arbres.

Il est un capteur d’émotions, d’humeur, d’odeurs, de tout.

Après son chant d’amour amer à Marseille, il s’empare de Dakar et en restitue magnifiquement l’étrangeté, la singularité et les envies d’ailleurs. Se faisant l’ombre de ses trois jeunes amis qui patientent, Hadrien Bels insinue Dakar en nous et conclut son beau roman sur une battle de discothèque à hisser les poils en une armée de follicules au garde-à-vous.

Hadrien Bels. Le mec qui réussit le prodigieux exploit de nous faire croire en cette rentrée littéraire...

Le sorcier !

Parution le 18 Août

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