mercredi 18 mai 2022

Traduction : Pierre Ménard

« Ce dont la mère Russie a besoin pour retrouver la grandeur qui était la sienne du temps de Joseph Staline [...] c’est un nombre toujours croissant de funérailles. »

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Ce 25 décembre 1991, alors que l’accession au pouvoir de Boris Eltsine annonce la dissolution de l’Union soviétique, Roman Timourovitch est de retour à Moscou. 

Fils du légendaire parrain Timour le Boiteux, il constate rapidement que l’appétit des familles mafieuses qui se disputent le contrôle de la capitale n’a désormais plus de limites. 

Mais les haines ancestrales et le cercle infini de la vengeance sont un héritage bien difficile à porter, surtout depuis qu’il a trouvé en Yulia, la fille de l’ennemi juré de son père, le même désir de s’en affranchir. 

Nés sous des étoiles contraires, ils vont devoir s’allier pour tenter de défier leur destin.

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Robert Littell, père de Jonathan, est un immense écrivain, l’un de mes préférés. Avec John Le Carré, il s’est emparé du roman d’espionnage et l’a collé dans une fusée pour l‘envoyer au firmament.

Il y insuffle une généreuse lampée de grotesque et de tragique. Si John fut un observateur fin de la société anglaise, Robert est un grand connaisseur de l’histoire russe. Ce qui contraint à l’absurdie, au drame hyperbolique.

Son dernier roman ne relève pas de l’espionnage. Il s’agirait presque d’une comédie de mœurs contrariée, une relecture moscovite de Roméo et Juliette. Roméo devient Roman et Juliette Yulia. Nés dans deux clans qui se disputent le juteux marché de la protection rapprochée dans la capitale russe à la chute de l’URSS. Quand le capitalisme n’a jamais autant mérité son allégorie de vautours dépeçant un agonisant.

Roman et Yulia tombent amoureux et souhaitent échapper à leur destin. Une histoire simple. Éternelle. Trop simple ? Quand on est habitué aux récits labyrinthiques, sinueux, du père Littell, on est désarçonné par cette ligne droite. Mais on est pris, happé. Si La peste sur vos deux familles n’atteint pas l’incandescence de ces chefs-d’œuvre (La compagnie, Une hirondelle avant l’orage, etc.), ce roman témoigne parfaitement du talent de Littell.

Son art consommé du portrait, sa peinture grinçante et lucide de la Russie des années 90 et cette histoire d’amour entre deux êtres que tout LE MONDE oppose. Quand deux mots insérés dans une phrase nient l’évidence d’une passion.

Roman et Yulia, Littell les placent dans un flipper de la taille d’une ville-monde, chaotique et d’une beauté étrange, comme le goût laissé sur le palais par un morceau de pain noir arrosé de vodka, on ne sait trop si on aime ça mais on ne peut s’empêcher d’y revenir...

Un beau livre, puissamment addictif, au final amer... Littell Big Man.

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