jeudi 24 mars 2022


Traduction : Jean-Paul Gratias

« [...] vous savez combien une enquête peut devenir une véritable obsession. Mais cette affaire, c’est différent. Non seulement elle vous obsède, mais elle vous vide de votre énergie, elle vous prive de toute perspective, et finit par vous empêcher de réfléchir, de raisonner. Et c’est pour cela qu’on parle du « mal de Shimoyama », parce que ça vous contamine, ça vous infecte, et ça vous hante. »

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Tokyo, 1949. Le président des chemins de fer Shimoyama, qui venait de licencier 30.000 personnes, est retrouvé démembré sur les voies. 

Harry Sweeney, un policier originaire du Montana, enquête sans succès sur cette affaire. 

En 1964, un auteur écrivant sur cette histoire disparaît. Le détective Murota Hideki recherche une piste. 

En 1989, un ancien agent de la CIA est rattrapé par son passé.

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Le mystère de la résolution. Tout David Peace (enfin, tout...) tient dans cette inversion des termes. Nous sommes habitués aux formes géométriques parfaites, aux angles droits, VRAIMENT droits, dans les polars. On ne goûte guère les chemins de traverse. Un point A, un point B, si la ligne peut sinuer, on relie les deux points, on relie fatalement les deux points. 

Chez Peace, c’est... Plus complexe. A et B, c’est bien joli mais il reste moult lettres à attribuer aux points de chute et David Peace ne s’en prive pas. 

S’emparant d’un crime resté irrésolu, qui suscite une multiplication d’hypothèse qui n’a rien à envier au foisonnement de spéculations entourant l’assassinat de Kennedy (au point qu’on se dit qu’il serait peut-être plus efficace de s’interroger sur qui n’a pas tué JFK), Peace propose sa résolution. 

Elle se tient, mais comment dire, elle est fluctuante, insaisissable. On comprend l’essentiel mais quelque chose nous échappe, reste hors de notre portée. Et vous savez le plus sensationnel ? Ce n’est pas gênant. Plus fort encore, cela participe à l’insondable densité de ce livre hypnotique. 

Plus qu’une investigation se déroulant sur plusieurs décennies, à trois époques, Tokyo revisitée est un livre sur la folie. Tokyo rend fou. Le Tokyo occupé, en ruine, découvrant, effaré, que la promesse d’un peuple supérieur guidé par un empereur-dieu est aussi substantielle qu’une larme sous la pluie. 

La littérature doit-elle glisser, se lire aussi facilement qu’on mange un Donut ? 

Pas nécessairement. 

Lire David Peace demande une concentration, une attention, et là, de comprendre que facilité et plaisir ne vont pas forcément de pair. Tokyo revisitée est un plaisir de lecture. Tokyo revisitée est un chef-d’œuvre.

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