mardi 22 février 2022

 


Traduction : Daniel Lemoine

Mais cette heure n’a pas de père, cette année n’a pas de fils...

   Ni mère, ni fille, ni épouse, ni maîtresse...

   Car c’est l’heure zéro, l’année zéro...

   Tokyo année zéro.
***

Août 1945. Tokyo n'est plus que ruines. Les immeubles sont éventrés, les canalisations ont explosé, les habitants se sont réfugiés dans des abris de fortune, l'empereur va signer la capitulation. Dans cette atmosphère de fin du monde, l'arrivée d'une dépêche au bureau de la Première Division criminelle passe presque inaperçue. 

Qui s'intéresse à la présence d'un corps de femme dans un dépôt de vêtements de l'armée ? L'inspecteur Minami se charge de l'enlèvement du cadavre. 

Un an plus tard, les jeeps des Vainqueurs sillonnent la capitale d'un pays toujours exsangue. Le 15 août 46, un cadavre de femme est signalé dans le parc de Shiba. Au cœur d'une clairière, gît une jeune fille. Dépêché sur les lieux, Minami fait les premières constatations et ne tarde pas à découvrir un second corps, presque réduit à l'état de squelette. 

C'est le début d'une affaire qui, pour l'inspecteur, prend aussi la forme d'une quête de sa propre identité, perdue dans le désastre de la guerre.

***

À l’occasion de la sortie prochaine (enfin !) du troisième et dernier volume de l’hallucinante, hallucinée, trilogie de David Peace sur le Japon de l’immédiate après-guerre, la seconde, il est pertinent de revenir sur les deux premiers tomes. 

Tokyo année zéro donc. 

La littérature est un art et comme tout art elle possède une imprévisibilité intrinsèque. Pour illustrer mon propos et bad buzzer dans les chaumières je commence par un : Céline me gonfle. Je ne parle pas là de la crapulerie, la dégueulasserie de l’homme mais de l’écrivain, ce qui m’évite le sujet inflammable et sans fin de distinguer l’homme de l’œuvre (le faut-il..? Non) car je ne trouve pas de génie à aligner des segments de phrases et multiplier les !! ou les ...

Alors pourquoi David Peace, qui ne lésine pas sur ces procédés, provoque-t-il chez moi une telle propension à une admiration béate ? Lire Tokyo année zéro est tout autant (voire plus) une expérience de lecture sensitive que le décodage compulsif d’une enquête aberrante.

Le contexte évidemment. Tokyo 1946, ville occupée, une population chauffée à blanc pendant une grosse décennie, promise au destin des Dieux, une civilisation raffinée qui a basculée dans l’abîme, découvre la privation et l’humiliation. Le narrateur l’inspecter Minami illustre ce basculement, cette chute, rongé par la culpabilité autant que par la vermine, il tente un rachat, une rédemption dans un Japon en ruines qui ne sont pas qu’immobilières. 

C’est presque un long poème en prose que Tokyo année zéro, un Prévert déviant, un voyage moral où la loi des vainqueurs s’impose sans retenue, où les rares barrières éthiques sautent...

Je regrette déjà mon allégation liminaire sur Céline, tant je voudrais que l’on retienne la puissance de l’œuvre de Peace qui trouve ici une consécration parfaite, et je n’ai pas encore mentionné le Rashōmon-like, le deuxième opus, le sidérant Tokyo ville occupée. 

Lire David Peace, ça se tente...

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