dimanche 6 février 2022

Traduction : Jacques Mailhos (évidemment)

Aucune réponse n’éclot. Et il n’a même pas de bonne question.

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Douglas Pike n’est plus le truand qu'il était autrefois. De retour dans sa ville natale des Appalaches, proche de Cincinnati, il vit de petits boulots et tente de combattre ses démons du mieux qu’il peut. 

Jusqu'au jour où il apprend que sa fille, depuis longtemps perdue de vue, vient de mourir d’une overdose. Et où il découvre par la même occasion l'existence de sa petite-fille âgée de douze ans. 

Tandis que la gamine et lui tentent de s’apprivoiser, un flic brutal et véreux commence à manifester un intérêt malsain pour la fillette.

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2012. Un nouveau venu débarque dans le milieu fermé du polar hard-boiled, peuplé de mecs à la morale douteuse, prompts à résoudre chaque problème d’ordre éthique se présentant en réduisant les os en poudres, en déplaçant des mâchoires, laissant des gouffres béants là où se tenaient des bouches fonctionnelles. 

Pike repose sur une trame simple (non simpliste) et on est autant éloigné du thriller à twist juteux que l’est un solo de Chet Baker d’un cor de chasse sonnant l’halali.

Benjamin Whitmer frappe fort. Lisant Pike, on a d’abord la sensation qu’il cherchait à marquer les esprits. Chaque chapitre renferme une bombe à fragmentation, une explosion de violence sourde. C’est une ode à la sobriété nutritive Pike, une élégie de la décroissance alimentaire, ne s’agirait pas de rendre un repas trop riche. La plume de Whitmer précise, sèche et nerveuse laisse peu de place à l’imagination et ne carbure pas à l’ellipse. Les paragraphes où le dénommé Pike ronge littéralement le poignet brisé d’un adversaire m’ont semblé tant ahurissants que j’ai dû les relire pour réaliser que j’avais bien compris ce que j’avais lu. 

Et puis... les envolées de beauté incongrues, ces plages de beauté zen, comme un pétale dans une décharge... Tout le talent de Whitmer est là, brut, qui ira s’affinant mais déjà étourdissant. Cet art d’imbriquer une brutalité inouïe dans une cohérence narrative, de réaliser que non cette cruauté n’est pas gratuite, que cette férocité s’inscrit pleinement dans un livre noir, d’une obscurité sans faille, sans échappatoire, presque. 

Je me rends compte que Benjamin Whitmer est un être complexe. Il est un auteur clivant. Il n’est ni Pete Fromm ni David Vann (que j’aime aussi, le second), il suscite plus de réserves. Il est vrai que les armes tressautent souvent dans les paumes de ses personnages et créent des béances qui n’ont pas lieu d’être dans d’autres personnages. Là où je vois une violence fondatrice, un déchainement inéluctable, d’autres y verront un étalage malsain. 

Sans, ce ne serait pas du Whitmer et Whitmer est grand...

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