Archer : jumeau céleste, accoucheur de l’oubli.
Le privé. Dur et poilu. Imperturbable, capable d’envoyer
chier la personne qui se trouve derrière l’arme à feu qui le menace. S’enfilant
des bourbons comme d’autres des expressos à dosette. Le privé est une invention
américaine. Immortalisé par Hammett, peaufiné par Chandler et sublimé par
MacDonald ; si je résume en une arrogance toute Instagramiesque et hors de
contrôle.
Le privé est plus que cette boule de testostérone qui s’applique
à renverser des situations mal embarquées, il est surtout un agent du chaos. Le
chien qui disperse les quilles aux quatre vents, dans un jeu qui était, avant
son arrivée, bien compris et aux règles claires.
Ross McDonald a créé le privé Lew Archer au sortir de la deuxième
guerre mondiale et à qui l’iconique Paul Newman prêta sa classe nonchalante
dans deux adaptations plutôt réussies. Et MacDonald a pour lui une plume
travaillée. Il a le sens de l’image qui percute : « Ce soir, mes yeux
étaient comme deux minuscules coins de pierre enfoncés entre mes paupières à
coup de masse. » Lew Archer est tel un lévrier afghan racé qui attraperait
délicatement les quilles pour les mettre hors de portée. Avec classe.
Toujours avec ce style imagé, vif et souple nerveux, qui
sinue tout en allant droit sur la cible. Ce mix improbable et heureux de James
Crumley et Hammett fait le sel de ce livre, premier de la série, peut-être pas
le meilleur.
Pas le meilleur, de haute vélocité tout de même. On voit se
débattre notre privé, mélancolique et tendre, loin du macho burné, alcoolisé et
nicotiné à l’extrême, dans une intrigue serpentine qui finit sur une note cristalline.
Lew Archer n’a rien d’un mec infaillible en costume trois pièces, il fait
parfois le mauvais choix, se dépêtre et repart de l’avant. Il assume également
le sale boulot même si cela lui pèse finalement de tromper et ruser. Cela lui
pèse mais il préfère l’adrénaline à la prise de conscience.
Guidées par la traduction de l’inévitable Jacques Mailhos, les flèches élégantes et narquoises de Ross MacDonald atteignent impeccablement la cible. Comme quoi, Archer porte bien son nom !
0 commentaires :
Enregistrer un commentaire