dimanche 23 janvier 2022

 

Traduction : Jacques Mailhos

Archer : jumeau céleste, accoucheur de l’oubli.

Qu'un homme d'affaires surmené ait une envie de "disparaître" pour s'aérer un peu, quoi de plus naturel ? Mais quand il s'agit d'un industriel aussi fortuné que Ralph Sampson qui "pèse" au bas mot cinq millions de dollars et fréquente assidûment les milieux louches de Los Angeles, on peut s'interroger sur la réalité de ladite fugue. 

Pour Lew Archer, le privé chargé de l'enquête, le problème est clair : il ne peut s'agir que d'un enlèvement savamment orchestré. Plus inquiétant cependant : c'est dans l'entourage de Sampson qu'il faut chercher les coupables. Pour mener à bien sa mission et protéger la vie de l'otage, Archer doit aller vite. 

Mais le jeu est dangereux et lui-même n'est pas certain d'en sortir vivant... Et pour cause ! La rançon demandée est de cent mille dollars. 

***

Le privé. Dur et poilu. Imperturbable, capable d’envoyer chier la personne qui se trouve derrière l’arme à feu qui le menace. S’enfilant des bourbons comme d’autres des expressos à dosette. Le privé est une invention américaine. Immortalisé par Hammett, peaufiné par Chandler et sublimé par MacDonald ; si je résume en une arrogance toute Instagramiesque et hors de contrôle.

Le privé est plus que cette boule de testostérone qui s’applique à renverser des situations mal embarquées, il est surtout un agent du chaos. Le chien qui disperse les quilles aux quatre vents, dans un jeu qui était, avant son arrivée, bien compris et aux règles claires.

Ross McDonald a créé le privé Lew Archer au sortir de la deuxième guerre mondiale et à qui l’iconique Paul Newman prêta sa classe nonchalante dans deux adaptations plutôt réussies. Et MacDonald a pour lui une plume travaillée. Il a le sens de l’image qui percute : « Ce soir, mes yeux étaient comme deux minuscules coins de pierre enfoncés entre mes paupières à coup de masse. » Lew Archer est tel un lévrier afghan racé qui attraperait délicatement les quilles pour les mettre hors de portée. Avec classe.

Toujours avec ce style imagé, vif et souple nerveux, qui sinue tout en allant droit sur la cible. Ce mix improbable et heureux de James Crumley et Hammett fait le sel de ce livre, premier de la série, peut-être pas le meilleur.

Pas le meilleur, de haute vélocité tout de même. On voit se débattre notre privé, mélancolique et tendre, loin du macho burné, alcoolisé et nicotiné à l’extrême, dans une intrigue serpentine qui finit sur une note cristalline. Lew Archer n’a rien d’un mec infaillible en costume trois pièces, il fait parfois le mauvais choix, se dépêtre et repart de l’avant. Il assume également le sale boulot même si cela lui pèse finalement de tromper et ruser. Cela lui pèse mais il préfère l’adrénaline à la prise de conscience.

Guidées par la traduction de l’inévitable Jacques Mailhos, les flèches élégantes et narquoises de Ross MacDonald atteignent impeccablement la cible. Comme quoi, Archer porte bien son nom !

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