dimanche 23 janvier 2022

Relire nos classiques

Traduction : François Gromaire, révisée par Isabelle Stoïanov

Ce qu’il voyait, en réalité, c’était une petite jeune fille maigrichonne, avec un visage assez agréable mais pas particulièrement joli. Pourtant, ses yeux gris-violet étaient vraiment extraordinaires et ses cheveux noirs avaient ce lustre très doux que les peintres essaient de rendre sur leurs toiles ; ils en approchent parfois, mais ce n’est jamais tout à fait ça.

Recherché par la police, Hart erre dans les rues de Philadelphie en plein hiver et se retrouve par hasard pris dans un règlement de comptes. Pour échapper à une mort certaine, il décide de se faire passer pour un truand. Mais Hart n'est pas un voyou, c'est juste un type qui fait ce qu'il faut pour survivre au milieu des voyous...

***

Lire Goodis, c’est arpenter les rues sombres aux pavés poisseux d’une grande métropole, une ville cannibale qui dévore ses habitants comme Cronos boulotte sa progéniture. 

Ce n’est pas moi qui l’écris, j’aurais bien aimé, mais cette phrase percutante est l’œuvre de Laurent Guillaume, ancien flic devenu écrivain, qui préface intelligemment cette tragédie qu’est Vendredi 13 (je lui ai chipé le titre).

David Goodis se traîne une réputation d’écrivain dépressif, qui balance ses personnages dans la désolation, dans quelque chose dont rien de bon ne pourra sortir. Cette désespérance semble sortir de la courte vie de David Goodis, contemporain de Hammett mais qui ne connut pas les ors de Hollywood ni le succès, serait-il éphémère. Arrivé au bout de sa courte vie, passablement imbibé, il coche toutes les cases de l’écrivain maudit, aussi fun qu’un cormoran dans le coma.

Et pourtant... Les livres de Goodis ne trimballent pas totalement un fatum poisseux. Pour preuve, ce génial Vendredi 13 qui introduit, comme souvent, un rouage aux dents biaisées, le truc qui décale la machinerie et toute la mécanique se grippe. Un homme va jouer un rôle dont il ne connait pas le texte, un improvisateur permanent dont le talent se trouve sublimé par le sens de la survie.

Le début de Vendredi 13 est jubilatoire, vif et bondissant. Hart y cherche désespérément à respecter les codes du truand au sang-froid. Il emploie la bonne vieille méthode de « j’envoie chier ce qui se présente » pour montrer que le poids de ses testicules avoisine le quintal couillu.

Evidemment, Hart, un tendre, va vite percuter le sens des réalités et les codes de la truande sont par trop glissants pour un gars comme lui. Il sera sauvé par les femmes. Hart va ainsi naviguer entre les figures archétypales du noir la garce pulpeuse et l’idéale évanescente. Archétypes dont Goodis se joue finalement et finement.

J’ai une grande tendresse pour Goodis, j’aime celle qu’il pose sur ses personnages qu’il malmène mais sans les abandonner totalement. Très grand livre, la quintessence du Noir, le fatum est à la fête.

0 commentaires :

Enregistrer un commentaire