Qu’est ce qui nous fonde ? Quel est le socle de notre
personnalité, de notre unicité ? On pourrait se demander : si l’on se
déleste de notre acquis, est-ce que l’on remonte au noyau originel, le cœur tellurique
de notre Moi, ce qui nous rattache à la terre ?
Vaste question. L’une de celles que soulèvent le beau roman,
haletant et poignant, de Peng Sheperd. Et l’occasion de tordre le cou au
préjugé tenace que la littérature de l’imaginaire se réduit à des pisto-lasers,
robots rigides, elfes aux oreilles en biseau et zombies affamés. Le post-apocalyptique
dont ressort Le livre de M est souvent l’occasion d’interroger notre humanité
commune, l’indépassable La route de Cormac McCarthy est le mètre étalon de
cette quête désespérée, vouée à l’échec le plus souvent mais toujours répétée.
Le livre de M refonde le post-apocalyptique en incluant une
part de magie. Une magie qui se paye au prix de nos souvenirs. Celles et ceux
qui perdent leur ombre, voit leur souvenir s’effilocher, se perdre. Ces
personnes sont alors soumises à la pire des tentations, développer des pouvoirs
extraordinaires, pouvoir défier la matière, la réarranger au gré de ses envies,
créer des soupières géantes ou créer un camping-car ex-nihilo, contre des pans
entiers de mémoire pour prix de ces sortilèges.
Ce livre choral, dont les multiples voix finissent par se
rejoindre, est un temple, un autel dressé à notre mémoire. Sans elle, nous
perdons pied, nous finissons par nous dissoudre dans un néant inconnu et
redouté.
Le monde de Peng Sheperd est des plus déroutants, où l’étrange,
l’invraisemblable peuvent débouler au détour d’une phrase, surgir sans crier
gare au milieu d’un paragraphe. Mais Peng Sheperd a le bon goût de ne pas
abuser de ce procédé. Son roman est surtout une odyssée bouleversante, presque
intime, malgré le fracas et les rebondissements percutants, d’un amour
vacillant et magnifique.
Le dénouement du Livre de M en expliquera le titre et remue. Il remue longuement, agite nos tréfonds et nous interroge. Sommes-nous plus que la somme de nos souvenirs ? Sans doute, peut-être... Mais pas beaucoup plus.
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