dimanche 23 janvier 2022

 

Merveilleusement traduit par Anne-Sylvie Homassel.

Pourquoi avait-il fallu que les ombres soient ce lieu du corps où gisent les souvenirs ?

Que seriez-vous prêt à sacrifier pour vous souvenir ?

Un jour, en Inde, un homme perd son ombre - un phénomène que la science échoue à expliquer. Il est le premier, mais bientôt on observe des milliers, des millions de cas similaires. Non contentes de perdre leur ombre, les victimes perdent peu à peu leurs souvenirs et peuvent devenir dangereuses.

En se cachant dans un hôtel abandonné au fond des bois, Max et son mari Ory ont échappé à la fin du monde tel qu'ils l'ont connu. Leur nouvelle vie semble presque normale, jusqu'au jour où l'ombre de Max disparaît...

***

Qu’est ce qui nous fonde ? Quel est le socle de notre personnalité, de notre unicité ? On pourrait se demander : si l’on se déleste de notre acquis, est-ce que l’on remonte au noyau originel, le cœur tellurique de notre Moi, ce qui nous rattache à la terre ?

Vaste question. L’une de celles que soulèvent le beau roman, haletant et poignant, de Peng Sheperd. Et l’occasion de tordre le cou au préjugé tenace que la littérature de l’imaginaire se réduit à des pisto-lasers, robots rigides, elfes aux oreilles en biseau et zombies affamés. Le post-apocalyptique dont ressort Le livre de M est souvent l’occasion d’interroger notre humanité commune, l’indépassable La route de Cormac McCarthy est le mètre étalon de cette quête désespérée, vouée à l’échec le plus souvent mais toujours répétée.

Le livre de M refonde le post-apocalyptique en incluant une part de magie. Une magie qui se paye au prix de nos souvenirs. Celles et ceux qui perdent leur ombre, voit leur souvenir s’effilocher, se perdre. Ces personnes sont alors soumises à la pire des tentations, développer des pouvoirs extraordinaires, pouvoir défier la matière, la réarranger au gré de ses envies, créer des soupières géantes ou créer un camping-car ex-nihilo, contre des pans entiers de mémoire pour prix de ces sortilèges.

Ce livre choral, dont les multiples voix finissent par se rejoindre, est un temple, un autel dressé à notre mémoire. Sans elle, nous perdons pied, nous finissons par nous dissoudre dans un néant inconnu et redouté.

Le monde de Peng Sheperd est des plus déroutants, où l’étrange, l’invraisemblable peuvent débouler au détour d’une phrase, surgir sans crier gare au milieu d’un paragraphe. Mais Peng Sheperd a le bon goût de ne pas abuser de ce procédé. Son roman est surtout une odyssée bouleversante, presque intime, malgré le fracas et les rebondissements percutants, d’un amour vacillant et magnifique.

Le dénouement du Livre de M en expliquera le titre et remue. Il remue longuement, agite nos tréfonds et nous interroge. Sommes-nous plus que la somme de nos souvenirs ? Sans doute, peut-être... Mais pas beaucoup plus.

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