Le Shangri-La de Mathieu Bablet m’avait déjà plus qu’interpelé mais Carbone et Silicium c’est la médaille d’or après l’accessit, l’album Born to run de Springsteen après The Wild, the Innocent and the E Street Shuffle. On met la barre un cran au-dessus et on allonge la perche.
Bablet s’empare du thème hyper rebattu de l’intelligence artificielle et en évacue d’emblée la dimension néfaste, celle qui consiste à n’y voir qu’une logique émotionnelle radicale qui prône l’élimination de l’humanité pour préserver l’équilibre naturel. Les IA savent bien que l’humanité n’a besoin d’aucune incitation pour causer sa perte. Surtout, ces IA s’aiment et l’amour... ça occupe.
Cabone et Silicium sont deux êtres conscients qui ont su dépasser leur DLE, date limite d’existence, des Réplicants dickien qui ont trouvé comment casser le code. On va les suivre sur plusieurs siècles, une histoire d’amour épique dans un futur désolé. Comme toujours ces dystopies nous parlent d’un avenir qui est notre présent par bien des côtés : crise migratoire et climatique, assèchement des matières premières, montées des eaux alors que l’eau potable vient à manquer, hyper connectivité dans un acmé orgasmique de réseaux sociaux en réalité augmentée, une fuite des corps, etc.
C’est riant, aussi funky qu’un rassemblement politique à Villepinte.
La grande force de cette BD dense et tragique est qu’elle laisse les terriens en arrière-plan. Elle se concentre sur ces deux Zadig artificiels qui peine à comprendre la fuite en avant d’une population mondiale qui fonce dans le mur, enclenche même l’azote liquide pour être bien sûr de se défoncer la mouille. Carbone et Silicium choisissent chacun une voie pour trouver un sens à l’absurde, Carbone l’activisme politique, Silicium l’arpentage scrupuleux de ce monde et ses beautés.
S’appuyant sur un trait expressif d’une grande maîtrise, Carbone et Silicium est une odyssée bouleversante, engagée et philosophique qui ne retient pas l’émotion. Carbone et Silicium place la barre très haut.
Mathieu Bablet ne devrait pas s’en faire pour la suite malgré tout. Après Born to run vient The River.
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