dimanche 23 janvier 2022

[…] des choix imparfaits dans un monde imparfait

Sur une Terre dévastée, le Pays des Mères a pu s’établir grâce au recours des femmes à une insémination artificielle incertaine car les hommes sont devenus rares, un virus déséquilibrant les naissances. 

La jeune Lisbeï sait qu’elle est promise au titre de « Mère ». Pourtant, son destin se révélera tout autre quand elle apprend sa stérilité. Loin de chez elle, devenue « exploratrice », elle accomplira l’un de ses rêves les plus chers : découvrir les secrets du lointain passé du Pays des Mères.

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Que voilà un livre monde, monstre, de ceux qui génèrent des exégèses à n’en plus finir. La multiplication des thèmes abordés, l’intelligence du propos, fait que le modeste chroniqueur littéraire frôle la surdose. On dirait un labrador lâché dans un élevage d’écureuils ! En 2200 signes ? Impossible !

Chroniques du pays des Mères est une dystopie. Mais elle ne déroule pas le procédé littéraire communément établi : dangers omniprésents, désespérances et tension permanente, le danger se logeant possiblement derrière chaque porte, après chaque virage. Elisabeth Vonarburg déploie un univers où le monde tel qu’on l’a connu s’est phagocyté lui-même, après ce qu’on appelle le Déclin. Les femmes sont désormais en surnombre et les hommes sont quantités négligeables, un ratio singulièrement pauvre, tout juste de quoi assurer la survie de l’espèce.

Chroniques du pays des Mères est un roman féministe. Les femmes sont les héroïnes, les hommes sont relégués à l’arrière-plan. Mais il ne s’agit pas d’un récit misandre. Ni d’une ode au Care, des femmes nécessairement douces, se tenant par la main en tressant des paniers en osiers un rouge gorge niché sur l’épaule…

Elisabeth est bien trop subtile pour cela. Ce nouvel univers est un monde en construction, il se remet doucement des tyrannies et ravages ayant succédé au Déclin. Les femmes gouvernent et font de leur mieux. Autant l’assener d’emblée, Chroniques du Pays des Mères ne repose pas sur un rythme forcené, chaque chapitre se finissant sur un cliffhanger frémissant. Elisabeth a écrit un livre célébrant la recherche, la curiosité intellectuelle. Le pur plaisir de ce livre est d’appréhender ce monde semblable et éloigné. D’en savourer la langue où le féminin l’emporte sur le masculin, preuve que le langage est avant tout un marqueur du pouvoir dominant. De constater qu’une révolution téméraire se mue souvent en religion établie…

Que dire ? Chroniques du pays des Mères est un chef-d’œuvre de l’imaginaire et si vous laissez vos éventuels préjugés envers ce genre l’emporter, vous passerez certainement à côté d’une lecture des plus marquantes.

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