dimanche 23 janvier 2022

Relire nos classiques

Traduction : Pierre-Paul Durastanti

Une telle créature se fout du confinement.

En Antarctique, quelque part.

Enfoui sous la glace, aux abord d'un artefact aux allures de vaisseau spatial, des scientifiques découvrent un corps congelé — gisant là, sans doute, depuis des millions d'années. Un corps résolument inhumain. Résolument… autre. 

Le choix est alors fait de ramener la stupéfiante découverte à la station pour étude. Doucement, la gangue de glace autour de la créature commence à fondre, libérant peu à peu cette totale étrangeté à l'aspect terrifiant. 

Et les questions de traverser l'équipe de chercheurs : qu'est-ce que cette chose ? Comment est-elle arrivée là ? Et après tout, est-elle seulement morte ? N'ont-ils pas mis au jour la plus épouvantable des abominations — une horreur proprement cosmique ?

C’est à ce genre de phrase, courte et sèche qui entre en résonnance avec notre époque, presque un siècle après la parution originale, que l’on constate l’intemporalité d’un texte.  En 1938, John C Campbell publie Who goes there ? (traduit en La Chose). Ce court roman va connaitre un parcours fulgurant et ininterrompu.

Lire et relire La Chose, c’est observer que situer l’action en une base antarctique est l’assurance d’une modernité figée dans la glace. Balayé par le blizzard et des températures humainement inconcevables, le Sud absolu nous renvoie à notre humaine condition et sa fragilité intrinsèque. Point de portables ici, il n’y a pas de réseaux, les armes automatiques gèlent. Les hommes de 1938 sont nos frères de drame.   

La Chose est un livre sur l’inconnu et l’instinct. L’inconnu nous fait peur. Ce que nous rappelle Campbell, c’est qu’en certaines occasions bien précises, nous avons raison d’avoir peur. Notre inclinaison primaire, reptilienne, nous pousse à une méfiance qui est à 99 % injustifiée mais si on retrouve une saloperie coincée dans la glace qui ferait passer une murène pour une machine à poutoux, écouter son instinct n’est pas une option déraisonnable. Ce texte remarquable, traversée par une tension et une paranoïa galopante, est d’une actualité surprenante, si l’on excepte les derniers paragraphes, emplis d’une religiosité un poil datée.

Ridley Scott a surement (peut-être) lu Who goes there ? avant son Alien visqueux. Ce qui certain c’est que John Carpenter l’a lu attentivement avant de le retranscrire magistralement. The Thing est à la hauteur de son géniteur de cellulose. La Chose est l’un des rares exemples où le film et le livre sont à égalité sans que l’un des deux supports ne soit lésé.

Lire La chose et se mater The Thing dans la même journée est la certitude d’un kif malaisé, froid et nerveux. Pelotonné dans notre canapé, on songe... Que va réveiller la fonte des glaces ? Que va révéler le réchauffement climatique ? Est on vraiment certain qu’il n’y rien, là, tapi sous la banquise.. ?

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