Traduction : Josée Kamoun
Année 1984 en Océanie. 1984 ? C'est en tout cas ce qu'il semble à Winston, qui ne saurait toutefois en jurer. Le passé a été oblitéré et réinventé, et les événements les plus récents sont susceptibles d'être modifiés. Winston est lui-même chargé de récrire les archives qui contredisent le présent et les promesses de Big Brother.
Grâce à une technologie de pointe, ce dernier sait tout, voit tout. Il n'est pas une âme dont il ne puisse connaître les pensées. On ne peut se fier à personne et les enfants sont encore les meilleurs espions qui soient. Liberté est Servitude. Ignorance est Puissance. Telles sont les devises du régime de Big Brother. La plupart des Océaniens n'y voient guère à redire, surtout les plus jeunes qui n'ont pas connu l'époque de leurs grands-parents et le sens initial du mot "libre".
Winston refuse cependant de perdre espoir. Il entame une liaison secrète et hautement dangereuse avec l'insoumise Julia et tous deux vont tenter d'intégrer la Fraternité, une organisation ayant pour but de renverser Big Brother. Mais celui-ci veille...
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Orwellien.
Rarement un néologisme aura connu un tel succès. Rarement un auteur (que j’aime beaucoup) aura autant imprimé sa marque sur l’inconscient collectif. Orwell est presque devenu la marque de fabrique de notre époque. Orwell est le must de la récupération, souvent rance. Il est l’élément présent dans tous les mixeurs des mémorialistes auto-proclamés de notre époque, celles et ceux qui nous expliquent le monde qui nous entourent sans qu’on ne leur ait rien demandé ni qu’on en ressente la nécessité.
1984 est un livre monstre. La matrice de toutes les dystopies. Une dystopie qui n’en est pas vraiment une, 1984 est surtout une vision lucide, amère et radicale du Stalinisme triomphant. 2020 marquait les 70 ans de la mort de Orwell et ce fut une furie autour de 1984. J’ai compté pas moins de quatre adaptations en romans graphiques (dont un pop-up inside ! Et j’en oublie certainement). Orwellien et potentiellement rentable.
L’adaptation de Fido Nesti s’en sort honorablement. Je crois que rater un arrangement en bulles d’un tel matériau originel signerait un manque de talent si criant qu’il confinerait au sacrilège orchestré, au sabotage délibéré.
Ce roman graphique pose la question de l’adaptation, où placer le curseur entre la fidélité et la trahison ?
Nesti choisit de respecter scrupuleusement 1984 et comment faire autrement devant ce chef-d’œuvre ? Il choisit d’illustrer, presque sagement, la radicalité et l’intelligence acide de Orwell. Face à la densité du roman, il opte pour l’hommage sincère et modeste mais ne s’empare pas réellement de l’œuvre pour la faire sienne au risque de la malmener, de la trahir quelque peu. Les planches sobres, ternes et d’un gris morne cherchent à retranscrire l’oppression poisseuse, glauque, d’une société entièrement tournée vers un contrôle absolu des âmes et des corps.
Sans atteindre la sensation d’étouffement que l’on ressent à la lecture de Orwell, Nesti nous ouvre la porte à l’œuvre publiée en 1949. Ce n’est déjà pas si mal...
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