dimanche 23 janvier 2022

Traduction : Jacques Mailhos

(nous savons toutes les deux le danger qu’il y a à présenter l’histoire d’une femme comme une histoire réelle).

Talentueuse mais solitaire, Alice Lovett prête sa plume pour écrire les histoires des autres. Pourtant elle reste hantée par la seule histoire qui lui échappe : sa propre vie. Une simple rumeur, lancée en ce lointain été 1999 par deux ados éméchés, a embrasé en un rien de temps toute la communauté. Que s’est-il réellement passé sur la banquette arrière de cette voiture alors qu’ils ramenaient Alice, endormie, chez elle ? Accusations, rejets, déni, faux-semblants… 

la réalité de chaque protagoniste vacille et reste marquée à tout jamais. Et quand le présent offre une chance de réparer le passé, comment la saisir ? Faut-il se venger ou pardonner ? Ou mieux vaut-il tout oublier ? Mais peut-on oublier ce qu’on n’a jamais vraiment su ?

***

Ah j’aurais aimé m’offrir un frisson de remontée contre le courant. Faire mon saumon critique et aller contre les dithyrambes, les escamoter d’un vigoureux saut, mais voilà, comme beaucoup de monde, j’ai aimé True story.

Ce premier roman de l’autrice Kate Reed Petty est un livre sur la rumeur, celle qui trouve toujours un interstice pour s’y glisser. Quand on y songe, à l’heure de nos réseaux asociaux, quelle formidable époque pour la rumeur. Quel phénoménal terreau pour une pousse véloce, touffue et envahissante. Quand d’autres époques voyaient des semaines avant que la confusion ne prenne, elle est à portée de clic en nos jours glorieux.

Que s’est-il réellement passé dans cette voiture qui ramenait Alice chez elle ? Alice passera sa vie d’adulte à fuir la question et chercher la réponse. Il est difficile de vivre un tel oxymore, facile de s’y perdre.

Nous, lectrices et liseurs, ne nous perdons jamais dans le labyrinthique ouvrage de Kate Reed Petty et c’est là toute sa force. Car la construction de ce dédale romanesque est démoniaque mais nous ne lâchons jamais notre fil d’Ariane (la plume empathique, précise et dense servant de balise) et ce fil nous amène à un dénouement surprenant, grinçant et amer... Pourtant ce roman est constitué de bascules, de changements de ton et approche parfois une sorte d’expérimentation romanesque légère, un procédé nullement plombant, au contraire...

En fait True story nous rappelle une évidence douloureuse, notre histoire quand elle se mue en tragédie, ne nous appartient plus vraiment. Chacun se l’approprie, chacune la juge et l’ausculte. Nous ne sommes plus réellement en paix et devons composer avec le point de vue de notre entourage. Que ce point de vue soit bienveillant ou pas n’est pas la question, il est là, il pèse et nous oblige à une direction.

La rumeur est une purulence, on peut gratter tant qu’on veut, la démangeaison ne s’arrête pas et le droit à l’oubli un leurre.

Génial ce livre.

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