Deuxième lecture PMP 2022
« Ma première cigarette avait le parfum des intestins qui se vident et le goût du rouge à lèvres de ma mère. »
Côte ouest américaine, années 1990. Cyrus Colfer a quinze ans quand il allume sa première cigarette.
Sa mère, ancienne prostituée devenue proxénète, lui a pourtant toujours formellement interdit de fumer. Un peu de cendre tombe sur le carrelage, il frissonne en imaginant sa réaction quand elle rentrera à la maison. Mais sa mère est déjà là. Allongée sur le sol, en jupe trop courte, comme d’habitude. Le corps lardé de vingt-huit coups de couteau.
Dix ans plus tard, Cyrus Colfer n’a pas perdu le goût de fumer. Et il est prêt à retrouver l’assassin de sa mère. À un détail près : il est devenu aveugle.
Quand j’étais minot, il y avait les bombecs fabuleux mais
également les comics fantastiques, les Strange et super Strange avec tous ces
super slips en costume moulant lycra flashy, noctambules transgressifs sortant
d’un after déguisé.
Mais à 13 ans, je m’en foutais bien, j’ai été biberonné au
Marvel préindustriel et mon héros préféré était Daredevil, l’avocat aveugle Matt
Murdock qui se mue en justicier sans peur. Non pas sans peur, il affronte sa
peur et en triomphe. Celle ou celui qui
ne connaît pas la peur ne fait pas l’expérience du courage car c’est bien d’affronter
sa peur qui définit la vaillance. Et ça, pour un ado dégingandé, boutonneux et
peu sûr de lui, c’est un message qui percute.
C’est peut-être pour cela que le narrateur du Goût du rouge
à lèvres de ma mère m’a harponné d’entrée pour ne plus me lâcher. Cyrus Colfer
n’a pas de super pouvoir, pas de sonar surnaturel ni les autres sens développés
au-delà du commun, un peu plus affutés par nécessité certes mais tout juste.
Gabrielle Massat, d’une plume juste et dense, retranscrit la
solitude de qui perd la vue, sa terreur abrupte et y faire face, ça... C’est du
courage. Armé de sa détermination à faire la lumière sur le meurtre de sa mère,
Cyrus va découvrir des vérités dérangeantes. Il va aussi faire l’expérience
amère que sa solitude n’est pas uniquement dû à un handicap qui l’isole mais à un
passé qui lui colle des semelles de plomb, des bottes de ciment.
Porté par un style qui manie simplicité et fulgurances,
Gabrielle Massat, signant ici son premier polar après avoir écrit pour la jeunesse,
délivre un roman noir passionnant, riche de promesses tenues.
Un livre de sensations tenues, d’odeurs, de présences
fantomatiques, puissamment incarné malgré tout. De violence inattendue, sèche
et brutale comme une averse orageuse dans un ciel bleu. Le goût du rouge à
lèvres de ma mère est une somme de paradoxes apparents qui trouvent une évidence,
une grâce... Le tout sur un rythme d’enfer, un tempo étourdissant explosant
dans un final haletant et amer.
Magistral !
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