dimanche 23 janvier 2022

Traduction : J.-G Marquet révisée par Marie-Caroline Aubert

Une nuit opaque et cinglée de bourrasques s’était abattue sur l’immense cité du Middle West qui s’étirait le long du fleuve. Une pluie fine, presque un brouillard, s’engouffrait par moments entre les hauts immeubles, mouillant les chaussées et les trottoirs qu’elle transformait en miroirs sombres où se réfléchissaient, grotesquement déformées, les lumières des réverbères et les enseignes au néon.

À peine sorti de prison, Riemenschneider rencontre Cobby, un bookmaker, pour lui soumettre un plan audacieux : le braquage de la plus grosse bijouterie de la ville.

Cobby le met en contact avec plusieurs personnes pour exécuter le coup : Gus, un restaurateur italien au courant des faits et gestes de la police ; Dix, un tueur froid mais fiable ; Louis, un serrurier hors pair, et Emmerich, un avocat influent qui avancera les fonds.

Ce dernier ne plaît guère à Riemenschneider et le plan, pourtant soigneusement mis au point, va bientôt déraper.

***

Dans son Dictionnaire amoureux du polar Pierre Lemaitre ne mentionne pas William R Burnett. Lemaitre se rattrape de cette faute de gout en troussant un bel hommage à The asphalt jungle, traduit en un morne Quand la ville dort.

Ce roman de 1949 inaugure une trilogie dont le personnage principal est une ville anonyme, dense et industrieuse, riche et misérable, s’étalant de toute son urbaine emprise dans les plaines du Midwest. Cette ville poisseuse semble posséder la tenace capacité de faire naitre la nuit en plein jour.

Il y a quelque chose de La comédie humaine (Burnett a beaucoup lu Balzac) dans ce roman âpre et tragique où un casse d’une facilité déconcertante va achopper sur des détails frisant le grotesque et sur la faiblesse humaine, ces failles qui nous définissent autant que nos coups de mentons et vaines rodomontades.

La tragédie se déploie alors et broie immanquablement les cambrioleurs. Un plan huilé, fonctionnant sans accroc, cela relève du fantasme écrit Burnett dans les chapitres ramassés, poignants et vifs de cette catastrophe annoncée.

C’est là que l’on constate que la prévisibilité en littérature n’est pas rédhibitoire, que la surprise ne se love pas nécessairement dans l’intrigue proprement dite mais dans les interactions de ces destins de papiers qui se cognent aux parois d’un sort qui leur savate durement la face pour avoir eu l’outrecuidance de songer le défier.

Trempant le ruban-encreur dans une obscurité somptueuse, nerveuse comme un crochet au plexus, Burnett place The asphalt jungle au firmament du Noir, de ceux à l’atmosphère raréfiée mais au panorama imprenable. Un splendide jalon.

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