samedi 18 décembre 2021


Traduction : Sophie Asnalides

« [...] il y avait tellement de contradictions qui fourmillaient dans ma tête. Tellement de soupçons. Des événements pendant ces années, des choses que j’avais remarquées et ignorées, mais qui me hantaient, encore aujourd’hui. Avais-je une part de responsabilité là-dedans ? »

Propulsé dans la prêtrise par une tragédie familiale, Odran Yates est empli d’espoir et d’ambition. Lorsqu’il arrive au séminaire de Clonliffe dans les années 1970, les prêtres sont très respectés en Irlande, et Odran pense qu’il va consacrer sa vie au « bien ».

Quarante ans plus tard, la dévotion d’Odran est rattrapée par des révélations qui ébranlent la foi du peuple irlandais. Il voit ses amis jugés, ses collègues emprisonnés, la vie de jeunes paroissiens détruite, et angoisse à l’idée de s'aventurer dehors par crainte des regards désapprobateurs et des insultes.

Mais quand un drame rouvre les blessures de son passé, il est forcé d’affronter les démons qui ravagent l’Église, et d’interroger sa propre complicité.

John Boyne, en deux livres, a gravi la face nord de mon K2 littéraire. Les fureurs invisibles du cœur m’ont chaviré et L’audacieux Monsieur Swift m’a littéralement bluffé.

John est irlandais. Il a une relation compliquée à son pays. Il ne magnifie pas cette beauté douloureuse sous le crachin, il ne chante pas la lutte d’avoir bouté les Anglais, non... Il fouaille les sutures et fait sauter les agrafes.

Ici, le scandale de la pédophilie au sein du clergé irlandais et les manœuvres dilatoires, l’esquive épiscopale qui tenait sa stratégie du plus haut.

Prêtre en Irlande dans les années 70 et 80, on était un super-héros. Une sorte de Bruce Wayne en soutane. La population avait les yeux de l’adoration, vous consultait sur tout (notamment les atermoiements sexuels d’une adolescence irlandaise étouffée au-delà de l’humainement concevable, comme si on me demandait à moi des conseils en plomberie !) et suivait aveuglément vos prescriptions, foireuses pour la plupart. On anticipait le moindre de vos besoins, de vos désirs. Pour un prédateur sexuel, c’est une position inexpugnable. Si, en plus, votre hiérarchie vous couvre et vous transfère de paroisse en paroisse pour déplacer le problème (et les agressions) ...

Le héros d’Il n’est pire aveugle illustre parfaitement les tactiques illusoires que l’on se crée pour se coller des œillères. Elles ont la taille d’un building dans ce livre et nous avons systématiquement un temps d’avance sur ce bon père Yates.

Néanmoins... Quel souffle. Une émotion nous étreint, nous saisit, continuellement dans le creux de ces pages. Et cet aveuglement hypocrite, insupportable, trouve sa justification dans un « duel » final bouleversant avec toujours cette plume aérienne et précise, ces plages d’humour franc et vachard au milieu de la tragédie.

Et la réponse est oui à la question liminaire de ce post. Bien sûr que oui.

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