(Traduction : Héloïse Esquié)
C’est la leçon la plus vraie que mon père m’ait donnée : l’amour qui espère conquérir ne peut que se muer en haine.
L’une de mes zones de confort littéraire personnelles englobe
le roman nord-américain des Appalaches. Celui qui empile les mobil-homes
crasseux à la conjonction d’une nature sauvage, indomptée et vaste et une
jungle urbaine vicieuse et pourvoyeuse de destins brisés. Deux forêts immenses
et sombres, dans lesquelles il est aisé de se perdre. Ron Rash, Donald Ray
Pollock, David Joy et quelques autres...
Cette littérature magnifie la loose et la poisse, la
pauvreté des édentés et une vision du monde rétrécie au paysage qui enserre ses
habitants à la poursuite d’une survie quotidienne. Ce que j’en ai lu jusque là
présentait souvent des mâles se voulant dominant (à l’exception notable du
magnifique Serena de Ron Walsh en ce qui me concerne) mais qui avaient du mal à
comprendre un univers mouvant, aux règles écrites par d’autres qu’eux. Le livre
de Amy Jo Burns est une déflagration dans ce pan de la littérature américaine.
Les femmes n’ont pas d’histoire est un livre au titre magnifiquement
trompeur, car les trois femmes hantant ce beau livre, douloureux et frémissant,
partagent une histoire épique, intimement et sourdement épique mais épique
quand même.
La littérature est-elle genrée ? Vaste débat que j’évite
soigneusement, ma combinaison ignifugée est au pressing, mais la vision qui
traverse ce roman est incontestablement féminine, les hommes sont au second
plan. Même le pasteur charmeur de serpents, vecteur d’une religiosité galopante
confinant à l’abêtissement généralisé, n’est qu’une ombre néfaste. Ce sont Ruby,
Ivy et Wren qui portent la lumière, elles sont inoubliables. Porté par une
plume sensible, attentive, ce bouquin d’une grande maîtrise ne baigne pas dans
une joliesse émolliente, il est une claque retentissante dont on imagine l’écho
rebondissant de montagnes en sommets.
Sortir de ma zone de confort ? Non merci !
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