mardi 2 novembre 2021

(Traduction : Héloïse Esquié)

C’est la leçon la plus vraie que mon père m’ait donnée : l’amour qui espère conquérir ne peut que se muer en haine.

Dans cette région désolée des Appalaches que l'on appelle la Rust Belt, la vie ressemble à une damnation. 

C'est un pays d'hommes déchus où l'alcool de contrebande et la religion font la loi, où les femmes n'ont pas d'histoire. Elevée dans l'ombre de son père, un prêcheur charismatique, Wren, comme sa mère avant elle, semble suivre un destin tout tracé.

Jusqu'au jour où un accident lui donne l'occasion de reprendre sa vie en main.

Ah la zone de confort, quel beau mot valise ! Le terme fourre-tout : la zone de confort. Et le corolaire qui claque comme une évidence, il faut bien évidemment s’en extirper, de la zone de confort.

L’une de mes zones de confort littéraire personnelles englobe le roman nord-américain des Appalaches. Celui qui empile les mobil-homes crasseux à la conjonction d’une nature sauvage, indomptée et vaste et une jungle urbaine vicieuse et pourvoyeuse de destins brisés. Deux forêts immenses et sombres, dans lesquelles il est aisé de se perdre. Ron Rash, Donald Ray Pollock, David Joy et quelques autres...

Cette littérature magnifie la loose et la poisse, la pauvreté des édentés et une vision du monde rétrécie au paysage qui enserre ses habitants à la poursuite d’une survie quotidienne. Ce que j’en ai lu jusque là présentait souvent des mâles se voulant dominant (à l’exception notable du magnifique Serena de Ron Walsh en ce qui me concerne) mais qui avaient du mal à comprendre un univers mouvant, aux règles écrites par d’autres qu’eux. Le livre de Amy Jo Burns est une déflagration dans ce pan de la littérature américaine.

Les femmes n’ont pas d’histoire est un livre au titre magnifiquement trompeur, car les trois femmes hantant ce beau livre, douloureux et frémissant, partagent une histoire épique, intimement et sourdement épique mais épique quand même.  

La littérature est-elle genrée ? Vaste débat que j’évite soigneusement, ma combinaison ignifugée est au pressing, mais la vision qui traverse ce roman est incontestablement féminine, les hommes sont au second plan. Même le pasteur charmeur de serpents, vecteur d’une religiosité galopante confinant à l’abêtissement généralisé, n’est qu’une ombre néfaste. Ce sont Ruby, Ivy et Wren qui portent la lumière, elles sont inoubliables. Porté par une plume sensible, attentive, ce bouquin d’une grande maîtrise ne baigne pas dans une joliesse émolliente, il est une claque retentissante dont on imagine l’écho rebondissant de montagnes en sommets.

Sortir de ma zone de confort ? Non merci !

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