Traduction Gérard de Chergé
Vous savez ce que j’ai appris au sujet de l’argent ? Quand j’ai essayé de comprendre pourquoi ma vie à Singapour me semblait plus ou moins identique à celle que j’avais à Londres, c’est là que j’ai réalisé que l’argent est un pays en soi.
Sur l'île de Vancouver, se dresse un hôtel aux murs de verre, seulement accessible par la mer. Il est fréquenté par une clientèle exclusive qui veut rompre avec "la civilisation connectée". Là, pas de wifi, pas de portable, on est au bout du monde.
Paul, aspirant compositeur, et sa sœur Vincent, vidéaste amateure, travaillent tous à l'hôtel Caiette. Un soir, alors qu'on attend l'arrivée du milliardaire new-yorkais Jonathan Alkaitis, le gérant découvre avec horreur un tag gravé sur l'une des parois transparentes: "Et si vous avaliez du verre brisé?" Qui est l'auteur de ce graffiti menaçant? Est-il destiné à quelqu'un?
Dans ce havre de luxe, des gens se croisent, des destins se font et se défont. A l'hôtel Caiette, mais aussi à Vancouver et à New York, des vies vont prendre un tour imprévu et souvent dramatique. Comme un papillon au Brésil peut causer une tempête au Texas, un verre au bar de l'hôtel Caiette peut ruiner une existence...
Il suffit de peu de choses finalement pour qu’une vie
bascule. Un tag assassin écrit sur une vitre immense du hall d’un hôtel de luxe
pour que toutes et tous puissent le contempler : « Et si vous avaliez
du verre brisé ? ». Cette
invite peu amicale va bouleverser l’existence de celles et ceux qui la lisent.
Sans comprendre l’intention ni le contexte, ils en perçoivent immédiatement la
menace sur-jacente.
D’autant plus que cet hôtel de verre, accessible uniquement
en bateau, perdu au milieu d’une nature sauvage exubérante, maintenue à distance
par du plexiglas haute sécurité, appartient au financier prodige Jonathan
Alkaitis. Est-ce à lui que s’adresse ce message ?
Les autrices canadiennes s’y entendent pour insuffler une
étrangeté, un décalage subtil, dans leur encre. On songe à Andrée Michaud et
son magnifique Bondrée. Encore faut-il que cette singularité reste maitrisée,
ne pas tomber dans une facilité narrative qui permet de boucler une histoire en
roue libre, avec plus de questions ouvertes que le final de Lost (et l’on
repense à Andrée Michaud et son Tempêtes peu convaincant).
C’est une ligne de crête qui demande un solide sens de l’équilibre
et une focalisation sur la fin du raidillon entre deux vertiges. Emily St. John
Mandel possède l’art de la funambule et tient sous sa plume un récit choral et intime,
une étude de mœurs sur ces ultras-riches et leur jet privé, lofts et piscines à
débordement...
Ce livre inclassable multiplie les points de vue, pour nous
présenter une exégèse de la chute en quelque sorte. Il commence par une chute,
finit pareillement et nous en montre une, sensationnelle, qui en rappelle une
autre fameuse, en son milieu.
J’ai lu que notre ordonnancement anatomique ne sert qu’à prévenir la chute, happés que nous sommes par la gravité, L’hôtel de verre rappelle ce que la chute peut avoir de libératoire, soulageant. Enfin... Certaines d’entre elles.
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