mardi 2 novembre 2021

Moi je suis fasciné, je le dis. Tout ce que la civilisation a produit. C'est impressionnant de richesse, et par contrecoup, la pauvreté de l'existence est impressionnante aussi. Quand je parle de pauvreté de l'existence, je ne parle pas des marchandises. J'ai tout ce que je veux, moi par exemple, (...) ou du moins, j'ai ce qu'il me faut (...). Par pauvreté de l'existence, je veux dire le point auquel on s'emmerde. C'est extraordinaire, le point où on s’emmerde.

Une vraie tête à claques, ce Butron. Méchant, prétentieux, naïf, paranoïaque et sadique sur les bords, il voulait tout et tout de suite et se prenait pour un dur. 

Il se mêla de politique et de complots, pour la rigolade, l'argent, la gloire, et N'Gustro, un leader du Tiers Monde, paya les pots cassés. 

Butron, floué par les puissants, les barbouzes, les politicards, n'avait aucune chance de s'en tirer. 

Il ne s'en tira pas.

Le 29 octobre 1965, Medhi ben Barka, homme politique marocain, opposant socialiste au roi Hassan II et leader tiers-mondiste sort de la brasserie Lipp. Il est interpellé par deux hommes lui montrant cartes de police et monte dans une Peugeot 403. Il ne sera jamais revu.

Je me rappelle une conférence de presse de De Gaulle, impérial et matois, répondant à une question sur la disparition de Ben Barka et sur la possible implication des services secrets français, comment est-ce possible sur le territoire français ? De Gaulle, de sa voix chuintante : « c’est le résultat de mon inexpérience ». Rires discrets de l’assemblée, c’est marrant de faire un trait d’esprit sur la disparition d’un homme et sa mort probable...

L’affaire N’Gustro de Manchette est un roman à clé bien visible sur l’affaire Ben Barka. On y lit, dans un parler direct (on croirait presque « entendre » le livre parfois), la confession sur bandes magnétiques d’un homme de main, grouillot d’extrême droite à l’égo élyséen ayant participé (malgré lui) au rapt de N’Gustro et les réactions des commanditaires de l’enlèvement à l’écoute de ces bandes.

Deuxième livre de Manchette, L’affaire N’Gustro porte en germe les chefs-d’œuvre à venir. Ce livre possède les qualités et les défauts d’un roman de jeunesse, la fougue et la tentation de ne pas retenir la plume, d’éviter la formule qui rutile mais n’apporte rien.

Cela reste quand même un pur bouquin ce N’Gustro. Manchette affute ses gammes, cette manière inimitable de poser des personnages sordides et dérisoires, qui provoque une sympathie modérée, de celle que l’on éprouve devant un piège à ours. Sa plume oscille entre un San Antonio débordant et quelques envolées littéraires, un culbuto lexical excitant quoiqu’un brin répétitif.

Manchette valide la thèse de services secrets étrangers forçant la main aux autorités françaises, les mettant devant le forfait accompli (thèse qui semble la plus plausible mais je ne suis pas un spécialiste) mais l’essentiel de ce livre est ailleurs. Ce sont les prémisses qu’il contient, que l‘on devine, qui aboutiront au Tireur couché, Nada et Le petit bleu de la côte ouest. Manchette m’a manchetté !

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