mardi 2 novembre 2021

 


Traduction : Cindy Colin-Kapen

Et si la question qui captivait la salle d’audience ce jour-là était de savoir ce qu’il adviendrait de l’homme qui avait abattu le révérend Willie Maxwell, un autre mystère captiverait les esprits des décennies après le verdict : qu’était-il advenu du livre de Harper Lee ? 

Années 1970. Alabama. 

Le révérend Willie Maxwell est accusé de cinq meurtres. Avec l'aide de Tom Radney, avocat hors pair, il parvient à échapper à la justice... avant d'être abattu lors des funérailles de sa dernière victime présumée. 

En dépit des centaines de témoins présents, Robert Burns, son assassin, est acquitté – grâce, une nouvelle fois, à Tom Radney.

Dans la salle d'audience, une femme passionnée par l'affaire est venue de New York pour suivre les débats. Son nom : Harper Lee. 

Dix-sept ans après Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur, elle trouve dans cette histoire tous les ingrédients pour écrire enfin son deuxième livre et rivaliser avec De sang-froid de son ami Truman Capote. 

Un an d'enquête dans la région, puis un an chez elle à travailler à sa propre version des faits, pour finalement aboutir à un manuscrit que personne ne retrouvera jamais.

C’est Tom Wolfe, je crois, qui affirmait que la non-fiction était devenu le genre littéraire le plus important et le plus mémorable. Une sentence quoi. Je suis sévère avec les sentences. Car si elles contiennent leur part de connerie arrogante, une part de vérité émerge aussi, parfois, de l’affirmation béate et satisfaite.

Il est difficile de nier que De sang froid est un modèle de Non-fiction, où le True Crime monopolise quasiment tout l’espace comme un blob verdâtre épouse les contours e l’éprouvette.  Truman Capote a donc révolutionné le genre où la licence romanesque se pare d’une recherche de vérité qui serait plus accessible que la pure recension des faits dans ce qu’ils ont de plus brut et chronologique. Et le fait que c’est un foutu bouquin aussi, ça a joué, un peu.

Harper Lee et Capote sont amis d’enfance, elle officia comme assistante auprès de Capote, organisa ses notes, lui apporta une aide immense qui sembla toujours le mettre mal à l’aise.

Harper Lee est en panne d’écriture. Un écrivain a du mal à se relever d’un premier roman à succès, parait-il. L’entrée en littérature de Harper Lee est fracassante. Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur est plus qu’un succès. C’est, comment dire, il y a des livres de chevet, et des livres qui sont le chevet voyez ?

Lee entend alors parler d’un révérend sudiste, un pasteur noir qui multiplia les assurances vies auprès de ses proches, ses mêmes proches décédaient alors dans des circonstances auxquelles le qualificatif douteux ne rend pas justice. Et il empoche le révérend. Il enquille tranquille les milliers de dollars quand sa première femme, sa deuxième, son frère, etc. meurent, sans que l’on ne puisse rien prouver. Il faut dire que ce révérend bénéficie de l’aide d’un as du barreau, un grand prêtre du prétoire, l’avocat Tom Radney, Big Tom.

Seulement, un jour, ce révérend se fait tirer en pleine face, une balle à bout portant qui lui emporte une partie de son visage et ses secrets. Et qui va défendre le tireur ? Big Tom pardi.

Rien que cette partie de l’histoire est proprement hallucinante. Ce livre, Les heures furieuses, est d’ailleurs quasiment hallucinatoire, j’entends par là qu’il produit une sorte de vertige.

Harper Lee tient là son De sang-froid, elle a aidé Capote, elle peut faire mieux, plus juste, plus « vrai ». Seulement voilà : « Rien ne s’écrit tout seul. Livré à lui-même, le monde ne se transformera jamais en mots, et qu’importe la quantité de pages, de notes, interviews, et documents que génère une enquête de terrain, la page qui compte le plus commence toujours vierge. Dans Le journaliste et l’assassin, Janet Malcolm, qualifie d’«abîme» ce lieu entre l’enquête et l’écriture. C’est un lieu redoutable où il est terriblement facile de de rester piégé. Tout le monde avait assuré à Harper Lee que l’histoire qu’elle avait trouvée était destiné à devenir un best-seller. Mais personne ne pouvait lui dire comment l’écrire. »

Casey Cep nous offre un livre fascinant. Un récit qui réussit l’exploit de nous passionner sur l’histoire des assurances vies mérité déjà toute notre attention. Mais au-delà, c’est une œuvre saisissante sur la création. Harper Lee n’a pas le syndrome de la page blanche, elle en remplira des malles entières, mais aucune ne lui convient, aucune ne mérite de suivre L’oiseau moqueur.

Les heures furieuses méritaient bien un trop long post pour souligner sa dimension : portrait juste, impitoyable du Sud, démonstration inflexible et sensible que la fiction quand elle s’en donne la peine met sa tôle au pouvoir de l’imagination.

Enfin, Casey Cep offre un portrait nuancé de Harper Lee, qui se tint à l’écart, toute sa vie. Elle ne fut pas une grande voix de la lutte pour les droits civiques. Son Va et poste une sentinelle est sans doute une tentative de nous présenter le Sudiste moyen que les méthodes du Klan rebutent mais dont il comprend les motivations. Son éditrice sut en voir les promesses et lui conseilla de reculer la narration d’une trentaine d’année et de se focaliser sur son enfance. Le portrait d’Atticus Finch en fut bouleversé. Le grand visage de la lutte contre la ségrégation, c’est bien plus celui de Atticus Finch que celui de Harper Lee, qui se mura dans un silence assourdissant (en un oxymore usé jusqu’à l’os).

Personnage complexe, attachant, que ces Heures furieuses magistrales ramènent à son humaine condition : sombre et lumineuse, intensément tragique.

Les Heures furieuses est un grand livre, qui rend un fier service à la sentence de Tom Wolfe.

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