mardi 6 avril 2021

 


(Traduction de Jean Pierre Manchette, et ouais)

[...] Comme je l’ai dit, tout cela dépend de nous, de savoir si nous, individuellement, souhaitons l’apocalypse ou un nouveau monde au potentiel fabuleux, illimité. Ce n’est pas une question aussi évidente qu’il y paraît. Je crois qu’il existe des gens qui désirent vraiment, même si c’est seulement de façon subconsciente, la fin du monde. Ils veulent se voir épargner la responsabilité d’aider ce monde à vivre et à perdurer, se voir épargner l’effort d’imagination indispensable à la mise en œuvre d’un tel futur. Et bien entendu, il y a des gens qui veulent, plus que tout, vivre. Je vois la société du vingtième siècle comme une sorte de course entre l’illumination et l’extinction.

Quand le Comédien, justicier au service du gouvernement, se fait défenestrer, son ancien allié, Rorschach, mène l'enquête. Il reprend rapidement contact avec d'autres héros à la retraite dont le Dr Manhattan, surhomme qui a modifié le cours de l'histoire. Alors qu'une guerre nucléaire couve entre les USA et l'URSS, tous s'interrogent : qui nous gardera de nos Gardiens ?

S’attaquer au monstre protéiforme qu’est The Watchmen s’apparente à tenter l’ascension du K2 en espadrille et moi je préfère les tongs. J’ai 2200 signes (un peu moins maintenant) pour accoucher d’un post crédible sur le roman graphique de Alan Moore. Je pourrais pousser un aaargh orgasmique en étirant les a jusqu’à la jauge souhaitée mais bon... Nous sommes d’accord... Le point positif est le zéro pression, The Watchmen possède une telle aura, une telle puissance narrative, que ma chronique aura autant d’impact et de visibilité qu’une bouteille d’eau minérale dans le cellier de Gérard Depardieu.

Alan Moore s’empare d’une des rares figures mythologiques des Etats Unis : le super-héros. Il en pervertit assurément le sens of wonder. Moore a le génie de montrer la grandeur et le ridicule de ces hommes et femmes qui se griment pour délivrer une justice parallèle et hors de tout cadre juridique. Il a également la force de ne pas verser dans l’outrance et la parodie, The Watchmen n’a rien d’un The boys, c’est une œuvre sérieuse, poignante, non dénuée d’ironie et une tragédie, on pourrait se perdre sans fin en analyse sémiologique, sociologique et plein de truc en « gique » et on aurait tort.

The Watchmen, avant tout, c’est du plaisir, à l’état brut. Une joie enfantine devant le sens du rythme, le découpage, la densité romanesque, la cohérence de la dystopie créée par Alan Moore et sa profondeur. The watchmen rappelle ce principe fondamental : il est bon de surveiller les surveillants. Et la spirale n’arrête pas de s’enrouler, de s’entre-dévorer : surveiller les surveillants des surveillants des surveillants, etc.

Un livre fondamental qui enfonce les digues rassurantes des genres littéraires. Un chef-d’œuvre, une assertion que l’on peut énoncer, pour une fois, sans galvaudage.

(Re)lire The Watchmen est l’assurance d’une expérience déroutante, haletante, émouvante, profonde, propre à épuiser un registre solide de qualificatifs laudateurs.  


PS : pour les fanatiques, marmonnant un « LouésoitAlanMoore » inaudible, Watching the watchmen est un must, l’occasion de célébrer la beauté du trait de Dave Gibbons.

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