mardi 6 avril 2021

 


Gleb aimait l'architecture rescapée des soviets, les dragons ouvriers qui vomissaient leur gaz au ciel, les aurores boréales sur la toundra encrassée, les visages des gens quand ils se battaient avec les éléments, tous à égalité. Gleb aimait sa ville, même si on lui avait cassé la gueule, ou, peut-être l'aimait il pour ça : l'abnégation d'une victime qui, malgré les coups encaissés, cherche à se relever.

Norilsk est la ville de Sibérie la plus au nord et la plus polluée au monde. Dans cet univers dantesque où les aurores boréales se succèdent, les températures peuvent descendre sous les 60°C.

Au lendemain d'un ouragan arctique, le cadavre d'un éleveur de rennes émerge des décombres d'un toit d'immeuble, arraché par les éléments. Boris, flic flegmatique banni d'Irkoutsk, est chargé de l'affaire.

Dans cette prison à ciel ouvert, il découvre une jeunesse qui s'épuise à la mine, s'invente des échappatoires, s'évade et aime au mépris du danger. Parce qu'à Norilsk, où la corruption est partout, chacun se surveille.

Et la menace rôde tandis que Boris s'entête...

Caryl Ferey est un écrivain voyageur. Il n’y a pas que Sylvain Tesson sur ce créneau. Ferey, c’est un peu Tesson sans la pose, le rock et la rage en plus. Quand Tesson va en Sibérie, il magnifie la beauté âpre de cette immensité glacée d’une cabane perdue quand Ferey conte la détresse absolue d’une cité stalinienne, d’une telle laideur qu’elle en devient belle.

Caryl avait déjà posé ses après-skis à Norilsk, en 2017, en avait tiré un court et dense récit, ramassé comme un shot de vodka. Le portrait dantesque était déjà brossé, il est parachevé dans ce polar labyrinthique, haletant et poignant.

Ce polar est son décor. Le personnage principal est la ville qui l’abrite. On a tendance à associer l’enfer à des températures caniculaires mais l’enfer c’est une atmosphère particulière propre à abolir l’espoir. Norilsk possède ce climat singulier où les Celsius qui sombrent marquent la présence d’un enfer sur terre.

C’est dans cette ville minière, l’une des plus polluée de la planète, où le nickel extrait représente 2% du PIB russe, que l’on découvre le cadavre assassiné d’un éleveur de Rennes, loin de son troupeau. Ce meurtre enclenche une série d’évènements qui vont bouleverser à jamais les protagonistes de Lëd.

Ferey est enfant du rock et cela se sent dans sa plume directe, nerveuse mais qui sait se faire lyrique quand il le faut. Un peu à l’image du Bowie magnifique d’avant le virage flashy des années 80, ce Bowie qui revient souvent dans les pensées de Ada, jeune femme déployée dans ce polar choral.

Caryl Ferey aime ses personnages, que l’on devine inspirés de rencontres et d’autres nés de son imagination débridée. Caryl orchestre son petit monde d’une main sûre et nous cueille souvent. Son livre est infiniment touchant, l’émotion se fondant dans un tempo qui claque, comme un rif de guitare mélancolique se cale sur un déroulé de batterie dans un Led Zep d’anthologie.

Vous l’aurez compris, j’ai aimé Lëd. Kaléidoscope percutant d’une Russie malade et corrompue, magnifique de grandeur sacrificielle, cette âme russe que Ferey touche du bout des touches, à la manière d’un Robert Littell punk et dans mon clavier... c’est un putain de compliment.

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