dimanche 14 mars 2021

 

C’est fini. L’appartement de mon époux ne m’est plus accessible. Je dois désormais attendre mon walaande avant d’y pénétrer, comme je dois aussi attendre mon tour pour le voir et pour discuter avec lui. J’ai le cœur serré. Je ne suis plus seule dans ma maison. Je ne suis plus une femme aimée. Je ne suis plus à présent qu’une épouse, qu’une femme de plus. Alhadji Issa, mon amour, n’est plus mon amant. Dès ce soir, il sera dans les bras d’une autre et, rien qu’à l’imaginer, je me sens défaillir. Quoi qu’il en dise, rien ne sera plus jamais comme avant. Le cœur d’un homme peut-il vraiment se partager entre deux femmes ?

Trois femmes, trois histoires, trois destins liés.

Ce roman polyphonique retrace le destin de la jeune Ramla, arrachée à son amour pour être mariée à l'époux de Safira, tandis que Hindou, sa soeur, est contrainte d'épouser son cousin.

Patience ! C'est le seul et unique conseil qui leur est donné par leur entourage, puisqu'il est impensable d'aller contre la volonté d'Allah. Comme le dit le proverbe peul : « Au bout de la patience, il y a le ciel. » Mais le ciel peut devenir un enfer. Comment ces trois femmes impatientes parviendront-elles à se libérer ?

La saison des prix littéraires s’achève.

Le Goncourt et son fameux bandeau rouge est sorti à temps et peut tenir son office de produit d’appel, ouf. Je suis libraire, cracher dans la soupe n’est pas le meilleur moyen de montrer un visage avantageux.

Mais j’ai du mal avec les prix d’hiver. Qu’un groupuscule de vieux barbons (les barbonnes sont les exceptions), nommés à vie, désigne le meilleur livre de l’année est d’une insondable connerie. Qu’on y songe quelques instants... Et les sempiternels soupçons de copinages, de prêtés pour un vomi, rendu pardon (ok, merci Coluche), jettent une ombre sur l’indépendance de ces jurys qui ne rendent compte qu’à eux-mêmes (lire l’article éclairant du NY Times).

Entendons-nous bien, il y a d’excellents primés. J’ai adoré le Femina de cette année (Nature humaine de Serge Goncourt) et certains Goncourt valent plus qu’un détour. Mais je suis humain et l’humain se nourrit de préjugés. Les miens, littéraires, portent sur les prix et les titres à rallonge, entre autres : « Quand les hippopotames arrêteront de rêver et boufferont du tarama » et je prends une tangente cosmique.

Tant qu’à faire, je préfère le Goncourt des lycéens, plus jeunes, plus nombreux, moins suspects de compromissions (j’espère). Celui de cette année, Les Impatientes, est un livre terrifiant sur la polygamie et le viol conjugal.

Certes, des critiques surgissent sur un style qui ne serait pas au niveau mais je me suis toujours méfié de la plume pour la plume, la forme doit servir le fond à mon sens. Djaïli Amadou Amal a une écriture sobre et dense, elle tient une ligne de crête et musèle notre sidération, notre colère. Ce sujet méritait-il un verbe plus flamboyant, plus sûr de ses effets, je n’en suis pas sûr, ce ne fut pas le choix de l’autrice.

Les impatientes est un livre douloureux, sincère, présentant la situation de ces femmes qui n’ont pas plus de libre arbitre qu’un canapé, que l’on chosifie pour en sublimer la valeur commerciale, que l’on monte les unes contre les autres pour garder la confiance du mâle dominant. Un récit ramassé traversé d’une tension sourde...

Les impatientes ou la démonstration que La servante écarlate n’a rien d’une fiction.

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