samedi 31 octobre 2020


Au-delà du parapet, les lanternes étaient suspendues de poteau en poteau le long de la rivière et, se remémorant la coutume dont lui avait parlé Akira, Ayumu s’arrêta. Quand Akira racontait qu’ils déversaient du feu dans la rivière, faisait-il allusion au tôrô nagashi, cette cérémonie où l’on met à l’eau des lanternes de papier en l’honneur des morts ?

Au début, Ayumu a cru à des jeux innocents. Des moqueries, des mises au défi, des vols de babioles dans les magasins. D'autant que, pour lui, l'étranger venu de la grande ville, c'était un bon moyen de s'intégrer parmi ses nouveaux camarades dans ce petit lycée de province.

Et puis Ayumu a commencé à remarquer. Les humiliations, les punitions, les coups, tous dirigés vers le doux Minoru.

Alors Ayumu s'est interrogé : que faire ? Intervenir ? Fermer les yeux ? Risquer de se mettre les autres à dos ? Ne rien faire ?

Et l'Okuribi est arrivé, la fête des Morts. Et tout a basculé...

La littérature nipponne cultive une réputation de personnages contemplatifs perdus dans une rédaction moins nerveuse que l’anglo-saxonne, moins psychologique que l’hexagonale. Ecrasée par l’ombre tutélaire quelque peu encombrante de Murakami, la production japonaise dépasse évidemment cette recension des gestes quotidiens, le folklore, l’immixtion du fantasmagorique dans la routine de nos existences... Elle relève d’une production humaine et comme pour toute production humaine, des thèmes universels la traversent.

Comme la cruauté adolescente par exemple. Les adolescents entre eux, c’est parfois quelque chose. Une violence occasionnelle, sans dessein inavouable mais qui peut, à l’occasion, se diriger sur une cible toute désignée. Celui qui n’épouse pas les codes, n’occupe pas l’entièreté du périmètre de la case qui lui est assigné, peut rapidement embrasser la carrière du « j’m’en prend plein la gueule pour pas un rond ».

Le court et singulier récit de Hiroki Takahaschi repose sur cette brutalité de cour de récré, amplifiée par la mécanique du groupe. Le solitaire est rapidement estampillé comme le cassosse qu’on va désosser toute l’année.

Okuribi dépasse le coté exotique du roman nippon (un système scolaire différent, une narration moins empressée, moins explicative) et suscite un malaise croissant. Les brimades, les jeux malsains s’entrelacent dans la vie d’un collégien sans histoire. Les épisodes banals sont froidement coupés de scènes perverses. Jusqu’au dénouement.

Le final d’Okuribi en déroutera plus d’un. Takahashi nous laisse dans une expectative sidérante. Un peu comme si William Golding s’était arrêté à Piggy devenu quasi aveugle, une fois ses lunettes dérobées, dans Sa majesté des mouches.

Les fins ouvertes ne m’ont jamais dérangé si elles s’articulent dans une logique narrative, si elles ne respirent pas un désarroi de l’auteur qui ne sait comment conclure. Je n’ai pas ressenti cela devant l’abrupt de la plume de Takahashi.

Renvoyer les morts aurait peut-être mérité quelques pages supplémentaires, je ne sais trop. Rien ne nous empêche de les écrire dans les méandres de nos esprits.

Traduction de Myako Slocombe

0 commentaires :

Enregistrer un commentaire