La littérature nipponne cultive une réputation de personnages
contemplatifs perdus dans une rédaction moins nerveuse que l’anglo-saxonne, moins
psychologique que l’hexagonale. Ecrasée par l’ombre tutélaire quelque peu encombrante
de Murakami, la production japonaise dépasse évidemment cette recension des
gestes quotidiens, le folklore, l’immixtion du fantasmagorique dans la routine
de nos existences... Elle relève d’une production humaine et comme pour toute
production humaine, des thèmes universels la traversent.
Comme la cruauté adolescente par exemple. Les adolescents
entre eux, c’est parfois quelque chose. Une violence occasionnelle, sans dessein
inavouable mais qui peut, à l’occasion, se diriger sur une cible toute désignée.
Celui qui n’épouse pas les codes, n’occupe pas l’entièreté du périmètre de la
case qui lui est assigné, peut rapidement embrasser la carrière du « j’m’en
prend plein la gueule pour pas un rond ».
Le court et singulier récit de Hiroki Takahaschi repose sur
cette brutalité de cour de récré, amplifiée par la mécanique du groupe. Le solitaire
est rapidement estampillé comme le cassosse qu’on va désosser toute l’année.
Okuribi dépasse le coté exotique du roman nippon (un système
scolaire différent, une narration moins empressée, moins explicative) et
suscite un malaise croissant. Les brimades, les jeux malsains s’entrelacent
dans la vie d’un collégien sans histoire. Les épisodes banals sont froidement coupés
de scènes perverses. Jusqu’au dénouement.
Le final d’Okuribi en déroutera plus d’un. Takahashi nous laisse
dans une expectative sidérante. Un peu comme si William Golding s’était arrêté
à Piggy devenu quasi aveugle, une fois ses lunettes dérobées, dans Sa majesté
des mouches.
Les fins ouvertes ne m’ont jamais dérangé si elles s’articulent
dans une logique narrative, si elles ne respirent pas un désarroi de l’auteur
qui ne sait comment conclure. Je n’ai pas ressenti cela devant l’abrupt de la
plume de Takahashi.
Renvoyer les morts aurait peut-être mérité quelques pages supplémentaires, je ne sais trop. Rien ne nous empêche de les écrire dans les méandres de nos esprits.
Traduction de Myako Slocombe
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