Certains écrivains, tel Elmore Leonard par exemple, sont
piégeux. Ils vous donnent l’illusion que l’écriture est facile pour peu qu’on
ait une bonne histoire à raconter. Et puis... On se rend compte que cette fluidité,
cette maitrise, ne sont pas à notre portée.
D’autres, eh bien... Ces autres-là sont plus francs, d’une
implacable transparence. Robin Cook est de cette trempe. Il nous contemple du
Cervin quand nous peinons à gravir une colline. Je parle, bien évidemment, du
Robin Cook anglais et non de son homonyme américain qui moulina du thriller
médical aussi palpitant que l’encéphalogramme d’un électeur trumpiste du
Michigan.
J’étais Dora Suarez est l’un des sommets du polar
contemporain et a profondément marqué le genre. Ce roman est un condensé de
noirceur, chimiquement pur. Imaginons le noir, le plus noir possible sur cette
terre, et enténébrons-le encore un peu. L’obscurité ainsi obtenue se démarque
par sa nouveauté, sa crudité.
Les premières pages de Dora Suarez, où un tueur s’emploie à
annihiler deux vies humaines, nous débarquent sur un rivage inédit, où, comme
des explorateurs prudents découvrant les mœurs étranges des autochtones, nous
restons interdits, presque pantelants devant ce spectacle.
La précision de la plume de Cook, sa puissance d’évocation,
saisit la lectrice et le lecteur et déclenche un choc thermique, quasi, de l’azote
liquide à la pierre chaude dans un même mouvement.
La suite du livre relate la traque du tueur par un flic sensible,
boule compacte d’intégrité ombrageuse, amoureux d’une victime, pris de passion
pour Dora Suarez, ne se résignant pas à laisser la barbarie sans réplique.
Robin Cook multiplie avec aisance les points de vue
narratifs : le « il » clinique, dérangé et dérangeant du tueur, le
« je » empathique du flic brisé et tenace, enfin l’italique poignant
du journal intime de Dora Suarez qui rythme ce polar adamantin et sensible. Ce
panorama changeant affirme un réel suspense dans une pièce où les rôles titres sont
déjà connus.
Robin Cook a écrit un polar dont les victimes ne sont pas un point d’entrée mais la raison d’être. J’étais Dora Suarez est un roman en deuil.
(Traduction de Jean-Paul Gratias)
0 commentaires :
Enregistrer un commentaire