samedi 31 octobre 2020

En se déplaçant dans la saleté et l'obscurité, Haris se dit qu'il trouverait peut-être ce qu'il cherchait de l'autre côté. Et il était heureux.

Ancien interprète pour l'armée américaine en Irak, Haris Abadi a pu émigrer avec sa sœur aux États-Unis. Incapable d'y trouver sa place, il décide de se rendre en Syrie pour combattre le régime de Bachar-al-Assad aux côtés des insurgés. 

Mais son passeur le dépouille de son argent et de son passeport américain ; en un instant, Haris perd ainsi son statut d'Occidental protégé. Bloqué en Turquie, il erre près de la frontière où il rencontre Amir et son épouse Daphne, deux Syriens réfugiés dont la guerre a détruit la vie. Haris trouve auprès d'eux un abri et un nouveau point d'attache. 

Mais Haris ne se ment-il pas à lui-même ? Est-il un soldat en quête d'une cause, ou un déraciné à la recherche de son identité ?

Qu’un auteur s’empare d’un sujet d’actualité aussi inflammable que le conflit syrien et qu’il en tire un récit mesuré, avide de comprendre, de distinguer les nuances ; un argument récurrent surgit alors : il n’y connaît rien. Pour parler de la guerre, de zones de conflits, il faut y être allé et nous épargner les jérémiades angéliques de bobos châtrés gauchisants. Un argument souvent ânonné par des experts qui n’ont pas dépassé l’hyper centre et leur barista préféré pour la plupart.

Je suis heureux qu’Elliot Ackerman, vétéran du Corps des Marines, ancien membre des forces spéciales, ait écrit Le passage. Une chose qu’on ne pourra pas lui reprocher est de ne pas avoir mis les pieds dans ce nid de frelons sous acide qu’est le Moyen-Orient.

Ce dont on ne pourra pas lui faire grief non plus, est de manquer de subtilité. Ackerman n’entonne pas le refrain du treillis couillu, revenu de tout, qui découpe le monde en tranches géométriques, faciles à comprendre. Ackerman est un peu l’anti Chris Kyle. Evidemment, Kyle n’a jamais prétendu devenir écrivain, Elliot Ackerman l’est déjà.

Dans un style posé et précis, Le passage suit un homme, Haris, en manque de Cause à défendre. Il s’en est choisi une noble : renverser le régime de Bachar El Assad. Cet ancien traducteur auprès des forces armées américaines en Irak, est d’une passivité troublante, presque Camusien. Tourné vers son objectif de rejoindre la Syrie et d’accompagner Daphne, une femme rencontrée en Turquie, il lui est presque indifférent que Daech ait remplacé l’ASL, que cette partie du globe ait basculé dans l’obscurantisme absolu.

J’ai peiné à comprendre la cohérence de Haris. Cet homme qui souhaite se racheter une conscience, n’a rien d’un Islamiste. Il boit, fume, ne fait jamais sa prière. Puis, j’ai compris :  Il veut juste combattre.

Un beau roman sur l’engagement, le sacrifice, sur ce qu’on est prêt à risquer pour s’acheter un maigre espoir. Maîtrisé jusqu’au dénouement déchirant et cruel, Le passage illustre que la guerre est une activité qui permet de se couper de toutes réflexions, alors que cette coupure est rarement une chose à faire.

(Traduction de Janique Jouin-de Laurens)

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