En se déplaçant dans la saleté et l'obscurité, Haris se dit qu'il trouverait peut-être ce qu'il cherchait de l'autre côté. Et il était heureux.
Qu’un auteur s’empare d’un sujet d’actualité aussi
inflammable que le conflit syrien et qu’il en tire un récit mesuré, avide de
comprendre, de distinguer les nuances ; un argument récurrent surgit
alors : il n’y connaît rien. Pour parler de la guerre, de zones de
conflits, il faut y être allé et nous épargner les jérémiades angéliques de
bobos châtrés gauchisants. Un argument souvent ânonné par des experts qui n’ont
pas dépassé l’hyper centre et leur barista préféré pour la plupart.
Je suis heureux qu’Elliot Ackerman, vétéran du Corps des
Marines, ancien membre des forces spéciales, ait écrit Le passage. Une chose
qu’on ne pourra pas lui reprocher est de ne pas avoir mis les pieds dans ce nid
de frelons sous acide qu’est le Moyen-Orient.
Ce dont on ne pourra pas lui faire grief non plus, est de
manquer de subtilité. Ackerman n’entonne pas le refrain du treillis couillu,
revenu de tout, qui découpe le monde en tranches géométriques, faciles à
comprendre. Ackerman est un peu l’anti Chris Kyle. Evidemment, Kyle n’a jamais
prétendu devenir écrivain, Elliot Ackerman l’est déjà.
Dans un style posé et précis, Le passage suit un homme,
Haris, en manque de Cause à défendre. Il s’en est choisi une noble : renverser
le régime de Bachar El Assad. Cet ancien traducteur auprès des forces armées
américaines en Irak, est d’une passivité troublante, presque Camusien. Tourné
vers son objectif de rejoindre la Syrie et d’accompagner Daphne, une femme
rencontrée en Turquie, il lui est presque indifférent que Daech ait remplacé
l’ASL, que cette partie du globe ait basculé dans l’obscurantisme absolu.
J’ai peiné à comprendre la cohérence de Haris. Cet homme qui
souhaite se racheter une conscience, n’a rien d’un Islamiste. Il boit, fume, ne
fait jamais sa prière. Puis, j’ai compris : Il veut juste combattre.
Un beau roman sur l’engagement, le sacrifice, sur ce qu’on est prêt à risquer pour s’acheter un maigre espoir. Maîtrisé jusqu’au dénouement déchirant et cruel, Le passage illustre que la guerre est une activité qui permet de se couper de toutes réflexions, alors que cette coupure est rarement une chose à faire.
(Traduction de Janique Jouin-de Laurens)
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